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Balkans

Victoire albanaise lors d’élections cahotiques

Les élections municipales partielles organisées dimanche dans trois communes du sud de la Serbie devaient parachever le processus de paix initié en mai 2001, depuis le désarmement de la guérilla albanaise qui réclamait le rattachement de ces communes au Kosovo. La leçon de démocratie a pourtant manqué de clarté.
Quelque 75 000 électeurs figuraient sur les listes électorales. Parmi eux, nombre de défunts. «Mon père, qui est mort il y a dix ans, ne vote plus depuis des années», explique Bujar, un citoyen albanais de Bujanovac, la principale ville de la région, âprement disputée entre les partis serbes et albanais. «Pourquoi figure-t-il à nouveau sur les listes électorales ?» Bujar ajoute que quinze personnes de sa famille, tout à fait vivantes, n’ont par contre pas pu voter, faute d’être inscrites sur les listes électorales. Dans le village de Dobrosin, l’ancien quartier-général de la guérilla, la moitié des 700 électeurs n’ont pas pu voter, parfois en raison d’une simple faute sur l’orthographe de leur nom.

Dimanche après-midi, les responsables des partis albanais accusaient la commission électorale municipale de Bujanovac d’avoir ainsi privé de leur droit de vote des milliers de citoyens. Il est vrai qu’à Bujanovac, chaque voix comptait. Le gouvernement de Belgrade et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) avaient organisé un recensement du corps électoral dans les trois communes concernées par les élections partielles. Dans le cas de Bujanovac, on comptait donc 13 500 électeurs serbes, 3 500 tziganes, dont 500 déplacés du Kosovo n’ayant pas le droit de vote aux élections locales, et 18 000 Albanais. A ces quelque 35 000 électeurs, il fallait en ajouter 2 000 autres, principalement albanais, inscrits en dehors des périodes légales, mais retirer «au moins» un millier de personnes décédées, dont tout le monde semblait donc savoir qu’elles figuraient sur les listes.

La crédibilité des accords de paix

Cette arithmétique compliquée cachait un problème politique simple: les partis albanais devaient remporter les élections. Il en allait de la crédibilité des accords de paix. Dans trois bureaux de vote entièrement albanais de Bujanovac et de son faubourg de Veliki Trnovac, des centaines d’électeurs n’avaient pas encore pu voter dimanche à 20 heures, au moment de la fermeture légale des bureaux de vote. Ces bureaux comptaient en effet un très grand nombre d’électeurs, en raison d’un découpage censé défavoriser les Albanais. Le chef de mission de l’OSCE en Yougoslavie, l’ambassadeur Sannino, et son collègue l’ambassadeur américain à Belgrade, William Montgomery, se sont donc rendus en personne sur les lieux pour permettre à toutes les personnes se trouvant à l’intérieur et même à l’extérieur des bureaux de voter. Les opérations électorales ne se sont achevées qu’à 5 heures lundi matin: cette participation massive et tardive des électeurs albanais a changé la donne du scrutin.

Les partis serbes ont déjà annoncé qu’ils entendaient demander l’annulation du scrutin en raison de cette grave infraction au code électoral, et d’un certain nombre d’autres irrégularités: dans le village albanais de Lucane, on a trouvé plus de bulletins de vote qu’il n’y avait d’électeurs inscrits. Lundi après-midi, les décomptes officieux des partis politiques donnaient une nette avance aux candidats albanais. Bujanovac devrait donc avoir un maire albanais pour la première fois de son histoire. Tel était sûrement le but de la surprenante opération électorale organisée dans le sud de la Serbie, et l’OSCE a pu annoncer que «les élections municipales dans le sud de la Serbie avaient globalement respecté les normes internationales».



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 30/07/2002