Balkans
Connivences politico-mafieuses à Belgrade
L’assassinat d’un haut responsable de la police serbe vient de rappeler tragiquement aux Serbes que la nature de leur régime se confond encore avec les activités de la mafia.
De notre correspondante à Belgrade
«Le seul vrai danger qui menace la sécurité de ce pays est l’association du crime organisé avec les centres de pouvoir politique et para-politique de la région», commentait le ministre yougoslave des Affaires Etrangères, Goran Svilanovic, quelques heures après l’assassinat du général Bosko Buha, adjoint au chef de la police de Serbie. Aveu d’impuissance de la coalition qui a renversé Slobodan Milosevic le 5 octobre 2000 ou convulsion du «milieu» étroitement lié à l’ancien pouvoir auquel les réformistes serbes commencent à porter des coups ? Ou encore meurtre de celui qui aurait pu être un témoin capital dans le procès de l’ancien président Milosevic au Tribunal Pénal International de la Haye (TPIY) ?
Dans la nuit du 9 au 10 juin, à 2h40 du matin, le général Buha allait monter dans sa jeep après avoir dîné avec des amis dans l’une des nombreuses péniches rangées le long des quais du Danube, en face de l’hôtel «Yougoslavie», lorsqu’il reçut deux rafales de kalachnikov. Quelques heures plus tard, il succomba à ses blessures aux urgences. Il a été enterré mercredi dans l’allée des Citoyens Méritants du cimetière de Belgrade, en présence des plus hautes personnalités de l’Etat.
L’assassinat de ce haut fonctionnaire s’ajoute à un carnet de décès déjà bien rempli du ministère de l’Intérieur. En effet, en cinq ans, la police a perdu plusieurs hautes personnalités, dont la plus connue était l’adjoint du chef de la police, Radovan Stojicic Badza, tué en 1997 dans un restaurant de Belgrade. Aucun de ces meurtres n’a été élucidé mais les soupçons se sont toujours dirigés vers le «milieu», étroitement interconnecté avec le pouvoir. Si la fréquence de ce type d’assassinat, qui était combiné avec des meurtres de journalistes et personnalités politiques, a diminué depuis le 5 octobre, il n’a pas cessé. En août dernier, un haut fonctionnaire de la Sécurité Intérieure, Momir Gavrilovic, a été tué de la même manière, en sortant du bureau du président Kostunica.
Victime des trafiquants ou de «l’establishment» ?
Mais, cette fois, le ministre de l’Intérieur a promis de «remuer ciel et terre». Des dizaines de cafés, péniches, restaurants et des centaines de voitures ont été fouillées, sans qu’aucun résultat ne soit rendu public. Plusieurs hypothèses sont à envisager. La première, proche du ministère de l’Intérieur, consiste à penser que le général Buha a été tué par les réseaux de trafiquants en tout genre qu’il tentait de démanteler. En décembre dernier, celui-ci déclarait que cinq groupes criminels opéraient à Belgrade et que leurs chefs, qui avaient aussi des occupations «légales» comme les chantiers, étaient connus de la police. «Ils possèdent une armée de soldats pour le sale travail qui s’occupe de trafic de voitures, drogue et enlèvements. Ils ont cinquante membres en permanence et souvent ils engagent des collaborateurs extérieurs», disait le général Buha, en soulignant qu’après l’élimination des anciens «parrains», aucun des cinq nouveaux patrons n’avait réussi à devenir le premier. Selon lui, le ministère de l’Intérieur a démantelé une partie du trafic et ainsi privé la mafia de 2,75 millions d’Euros, dont deux millions étaient destinés aux trafiquants de pétrole et cigarettes. Mais surtout, il expliquait que la mafia tentait de s’entendre avec le nouveau pouvoir.
L’autre motif serait à rechercher du côté du rôle joué par le général Buha le 5 octobre, lors de la «révolution de velours» serbe. Chef de la police de Belgrade à l’époque, il a refusé d’envoyer les unités spéciales dans les mines de Kolubara en grève et de disperser les centaines de milliers de manifestants, ce qui lui valut de garder son poste et de recevoir hier un dernier hommage des mineurs. Selon un ancien chef de la police de Belgrade, Marko Nicovic, ce «coup grave porté au pouvoir et à la police» pourrait être un acte de vengeance de l’ancien «establishment». Enfin, la dernière piste évoquée rappelle que le général Buha était au Kosovo pendant les bombardements de l’OTAN en 1999, sous le commandement du responsable pour la sécurité, Vlastimir Djordjevic Rodja. Selon le journaliste Jovan Dulovic, de l’hebdomadaire « Vreme » spécialiste de ces dossiers, Rodja est soupçonné d’être un des principaux responsables des transferts de cadavres albanais, découverts dans des charniers en juin dernier, dans la banlieue de Belgrade et à Petrovo selo. Ainsi, le général Buha pouvait fournir des informations capitales au TPIY sur les opérations de la police serbe au Kosovo qui, disait-il, l’ont décidé dans son choix du 5 octobre 2000. D’ailleurs son nom figurait sur une liste de personnes auxquelles le TPIY s’intéressait, publiée par l’hebdomadaire «Reporter» en novembre dernier.
L’affaire montre que dans le domaine de la sécurité il n’y a pas eu de progrès majeur depuis le changement de pouvoir et conduit cette fois le gouvernement au pied du mur. Sachant que le pays est en pré-campagne électorale et que l’un des principaux reproches de la population envers les réformistes est la puissance persistante du crimes organisé. «Cette fois, il faudra trouver les coupables», a déclaré le Premier ministre Zoran Djindjic, ajoutant qu’il «s’agit d’un test pour la police criminelle insuffisamment développée, déficitaire en équipement, en personnes et en logistique». Ainsi, la balle est dans le camp du ministre de l’Intérieur dont les troupes sont accusées d’un sérieux manque de professionnalisme. Il faut dire que quatre policiers ont accouru vers la victime, mais aucun ne s’est lancé aux trousses des assassins…
«Le seul vrai danger qui menace la sécurité de ce pays est l’association du crime organisé avec les centres de pouvoir politique et para-politique de la région», commentait le ministre yougoslave des Affaires Etrangères, Goran Svilanovic, quelques heures après l’assassinat du général Bosko Buha, adjoint au chef de la police de Serbie. Aveu d’impuissance de la coalition qui a renversé Slobodan Milosevic le 5 octobre 2000 ou convulsion du «milieu» étroitement lié à l’ancien pouvoir auquel les réformistes serbes commencent à porter des coups ? Ou encore meurtre de celui qui aurait pu être un témoin capital dans le procès de l’ancien président Milosevic au Tribunal Pénal International de la Haye (TPIY) ?
Dans la nuit du 9 au 10 juin, à 2h40 du matin, le général Buha allait monter dans sa jeep après avoir dîné avec des amis dans l’une des nombreuses péniches rangées le long des quais du Danube, en face de l’hôtel «Yougoslavie», lorsqu’il reçut deux rafales de kalachnikov. Quelques heures plus tard, il succomba à ses blessures aux urgences. Il a été enterré mercredi dans l’allée des Citoyens Méritants du cimetière de Belgrade, en présence des plus hautes personnalités de l’Etat.
L’assassinat de ce haut fonctionnaire s’ajoute à un carnet de décès déjà bien rempli du ministère de l’Intérieur. En effet, en cinq ans, la police a perdu plusieurs hautes personnalités, dont la plus connue était l’adjoint du chef de la police, Radovan Stojicic Badza, tué en 1997 dans un restaurant de Belgrade. Aucun de ces meurtres n’a été élucidé mais les soupçons se sont toujours dirigés vers le «milieu», étroitement interconnecté avec le pouvoir. Si la fréquence de ce type d’assassinat, qui était combiné avec des meurtres de journalistes et personnalités politiques, a diminué depuis le 5 octobre, il n’a pas cessé. En août dernier, un haut fonctionnaire de la Sécurité Intérieure, Momir Gavrilovic, a été tué de la même manière, en sortant du bureau du président Kostunica.
Victime des trafiquants ou de «l’establishment» ?
Mais, cette fois, le ministre de l’Intérieur a promis de «remuer ciel et terre». Des dizaines de cafés, péniches, restaurants et des centaines de voitures ont été fouillées, sans qu’aucun résultat ne soit rendu public. Plusieurs hypothèses sont à envisager. La première, proche du ministère de l’Intérieur, consiste à penser que le général Buha a été tué par les réseaux de trafiquants en tout genre qu’il tentait de démanteler. En décembre dernier, celui-ci déclarait que cinq groupes criminels opéraient à Belgrade et que leurs chefs, qui avaient aussi des occupations «légales» comme les chantiers, étaient connus de la police. «Ils possèdent une armée de soldats pour le sale travail qui s’occupe de trafic de voitures, drogue et enlèvements. Ils ont cinquante membres en permanence et souvent ils engagent des collaborateurs extérieurs», disait le général Buha, en soulignant qu’après l’élimination des anciens «parrains», aucun des cinq nouveaux patrons n’avait réussi à devenir le premier. Selon lui, le ministère de l’Intérieur a démantelé une partie du trafic et ainsi privé la mafia de 2,75 millions d’Euros, dont deux millions étaient destinés aux trafiquants de pétrole et cigarettes. Mais surtout, il expliquait que la mafia tentait de s’entendre avec le nouveau pouvoir.
L’autre motif serait à rechercher du côté du rôle joué par le général Buha le 5 octobre, lors de la «révolution de velours» serbe. Chef de la police de Belgrade à l’époque, il a refusé d’envoyer les unités spéciales dans les mines de Kolubara en grève et de disperser les centaines de milliers de manifestants, ce qui lui valut de garder son poste et de recevoir hier un dernier hommage des mineurs. Selon un ancien chef de la police de Belgrade, Marko Nicovic, ce «coup grave porté au pouvoir et à la police» pourrait être un acte de vengeance de l’ancien «establishment». Enfin, la dernière piste évoquée rappelle que le général Buha était au Kosovo pendant les bombardements de l’OTAN en 1999, sous le commandement du responsable pour la sécurité, Vlastimir Djordjevic Rodja. Selon le journaliste Jovan Dulovic, de l’hebdomadaire « Vreme » spécialiste de ces dossiers, Rodja est soupçonné d’être un des principaux responsables des transferts de cadavres albanais, découverts dans des charniers en juin dernier, dans la banlieue de Belgrade et à Petrovo selo. Ainsi, le général Buha pouvait fournir des informations capitales au TPIY sur les opérations de la police serbe au Kosovo qui, disait-il, l’ont décidé dans son choix du 5 octobre 2000. D’ailleurs son nom figurait sur une liste de personnes auxquelles le TPIY s’intéressait, publiée par l’hebdomadaire «Reporter» en novembre dernier.
L’affaire montre que dans le domaine de la sécurité il n’y a pas eu de progrès majeur depuis le changement de pouvoir et conduit cette fois le gouvernement au pied du mur. Sachant que le pays est en pré-campagne électorale et que l’un des principaux reproches de la population envers les réformistes est la puissance persistante du crimes organisé. «Cette fois, il faudra trouver les coupables», a déclaré le Premier ministre Zoran Djindjic, ajoutant qu’il «s’agit d’un test pour la police criminelle insuffisamment développée, déficitaire en équipement, en personnes et en logistique». Ainsi, la balle est dans le camp du ministre de l’Intérieur dont les troupes sont accusées d’un sérieux manque de professionnalisme. Il faut dire que quatre policiers ont accouru vers la victime, mais aucun ne s’est lancé aux trousses des assassins…
par Milica Cubrilo
Article publié le 13/06/2002