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Balkans

Les Serbes entre libéralisme et nationalisme

Deux ans après la chute de l’ancien président yougoslave Slobodan Milosevic, la Serbie se débarrasse du dernier symbole de son régime, tout en étant à nouveau à la croisée des chemins.
De notre correspondante à Belgrade

Le président serbe qui termine son mandat, Milan Milutinovic, est un ancien acolyte de Slobodan Milosevic, lui aussi inculpé par le Tribunal Pénal International de la Haye pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) de crime de guerre au Kosovo. Pour le remplacer, les électeurs ont le choix entre une quinzaine de candidats, mais l’enjeu revient à décider entre deux principales voies, sachant que l’extrême-droite jouera un rôle non négligeable: le président de la Fédération yougoslave Vojislav Kostunica et le responsable des relations économiques avec l’Extérieur au gouvernement fédéral, Miroljub Labus, tous deux anciens opposants à Milosevic. Les électeurs devront donc choisir entre avancer sur le chemin tracé depuis le 5 octobre 2000 par les réformistes pro-occidentaux que représente le candidat Labus ou changer de cap pour prendre une voie plus nationaliste modérée, comme le propose Kostunica.

Miroljub Labus se présente comme un candidat du groupe d’experts G17. Pourtant cet économiste est membre du parti démocrate, présidé par le Premier ministre du gouvernement serbe Zoran Djindjic, qui le soutient. Mais il prend ses distances à l’égard de ce dernier, dont le bilan est contesté, notamment dans les domaines de la police et de la justice. Alors le quinquagénaire aux cheveux grisonnants, à l’allure de notable moderne et soigné, bat la campagne en funambule, modestement, sans grandes envolées. Il est soutenu par le noyau dur des réformistes, membres du gouvernement serbe.

Le bilan qu’ils défendent est essentiellement économique. Il figure dans le tract que le candidat Labus signe pendant sa campagne à travers la Serbie et qui comporte également des engagements pour l’avenir: la Yougoslavie est à nouveau membre des institutions financières internationales, 1,8 milliards de dollars de donations sont acquis, 66% de la dette du Club de Paris effacés, des crédits de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international accordés. Par ailleurs, le processus de transition d’une économie communiste exsangue vers une économie libérale a commencé, notamment par les privatisations et la réforme bancaire. «Quel président voulons-nous ?», demandent les affiches. «Un président qui nous conduira rapidement vers l’Europe, un monsieur respectable issu du peuple, qui ne se fâche avec personne», répondent les slogans.

Quid de la fibre patriotique serbe ? Miroljub Labus n’a pas omis de remercier Dieu et de rendre visite à la terre sacrée orthodoxe serbe en Grèce, la Montagne Sainte. Tout en promettant qu’il sera le président de tous, sachant que 30% de la population n’est pas serbe. Enfin, Miroljub Labus a affirmé qu’il était important de faire face au passé et de soumettre à la justice ceux qui ont commis des crimes au nom de la Serbie, notamment Ratko Mladic, l’ancien leader militaire des serbes de Bosnie, inculpé de crimes de guerre et de génocide par le TPIY.

Son rival Vojislav Kostunica n’a toujours pas présenté son programme, ni commencé sa campagne. Un seul slogan a filtré pour le moment: «La Serbie sait». Il faut dire que ces élections le prennent de court, il aurait préféré que les différends Serbie-Monténégro soient réglés en premier et la Constitution serbe, rédigée sous Milosevic, modifiée. Mais le Parti démocratique serbe (DSS), dont il est le leader, a ouvert les hostilités depuis longtemps, puisqu’il a quitté la coalition réformiste. Pour le DSS, le gouvernement serbe a crée un État-parti qui solde les entreprises publiques au profit de quelques privilégiés, et qui n’a pas instauré l’Etat de droit ni démantelé les réseaux mafieux. Pour ce qui est des relations avec l’Extérieur, le président Kostunica a fini par appeler à voter la loi de coopération avec le TPIY, mais tout en déclarant que cette institution lui «soulevait le cœur» pour sa partialité. «Il y a d’un côté une coopération avec la communauté internationale qui revient à une relation soumise d’enfant envers un bienfaiteur étranger et, de l’autre, un équilibre entre nos intérêts et les exigences dictées de l’extérieur», déclarait-il récemment.

Une grande partie de la Serbie a peur

Selon le Centre d’études des alternatives, 71% de la population est mécontente de la manière dont le pays est dirigé et 45% insatisfaite du bilan du gouvernement serbe (20% sont satisfaits). L’agence Strategic Marketing (SMRI) souligne que la priorité de l’écrasante majorité est le niveau de vie, puisque près du tiers de la population est au chômage et le salaire moyen ne dépasse pas 150 euros, alors qu’il faut 200 euros par mois pour couvrir les besoins essentiels d’un ménage. Sachant que selon le ministre des Privatisations, dans les cinq ans à venir, 400 000 personnes devront se reconvertir ou perdre leur emploi.

Dans ce contexte, une grande partie de la Serbie a peur. Selon les derniers sondages du SMRI, 12% des électeurs s’apprêtent à voter pour le candidat d’extrême droite Vojislav Seselj, soutenu par Slobodan Milosevic et ami de Jean-Marie Le Pen. Vojislav Kostunica et Miroljub Labus sont ex-aequo et devraient obtenir 25% des voix chacun au premier tour. Au deuxième tour, le candidat Kostunica est pour le moment gagnant.

Tous les regards sont donc tournés vers les 30% d’indécis, «apathiques et désespérés», selon l’analyste politique Srba Brankovic. «Milosevic nous a épuisés, il nous reste si peu d’énergie pour faire face à un avenir qui s’annonce difficile», conclut Natasa, ingénieur de 50 ans. «Le choix est entre le candidat de ceux qui ont confiance en l’avenir et sont prêts à affronter l’impitoyable monde, et celui qui inspire la confiance du patriarche, représente la tradition, la dignité et la méfiance envers l’extérieur», ajoute sa copine Vesna, professeur d’anglais, attablée à une terrasse ensoleillée de la capitale.



par Milica  Cubrilo

Article publié le 08/09/2002