Balkans
Prostitution forcée: une femme parle
Une jeune femme réduite à l’état d’esclave sexuel par des proxénètes monténégrins a eu le courage de sortir du silence. Son témoignage met en lumière le développement des filières de trafic d’êtres humains dans les Balkans.
De notre correspondant dans les Balkans
Le 1er décembre dernier, l’adjoint du procureur de la République du Monténégro est arrêté. Zoran Piperovic est accusé d’être impliqué dans un vaste réseau de proxénétisme. Le scandale a éclaté à la suite des révélations d’une jeune femme moldave, abritée dans un foyer sécurisé pour femmes maltraitées de Podgorica. Depuis, les révélations se multiplient.
La directrice du foyer de Podgorica, Ljiljana Raicevic essayait depuis des années de sensibiliser l’opinion et les pouvoirs publics au sort de ces milliers de jeunes femmes réduites au statut d’esclaves sexuels aux mains de trafiquants qui se les «revendent» entre eux. Cette femme courageuse ne cesse d’apporter les preuves de l’existence de la «sainte trinité» qui permet ce trafic des êtres humains: la collusion entre la mafia, la police et la justice.
Le sort de la jeune Moldave recueillie à Podgorica est tragiquement banal dans les Balkans. Elle a répondu à une offre de travail à l’étranger, dans le but d’aider sa mère à rembourser les dettes occasionnées par l’achat de deux vaches. Sitôt la frontière moldave passée, son passeport lui a été confisqué, et elle est passée entre les mains de plusieurs proxénètes, d’abord en Voïvodine (nord de la Serbie), puis en Bosnie, et enfin au Monténégro, où elle a «travaillé» durant trois ans dans les bars à strip-tease de Podgorica. La jeune femme a été à plusieurs reprises «revendue».
Les filles risquent la mort si elles parlent
L’identité exacte de cette jeune Moldave est tenue secrète, et Ljiljana Raicevic ne veut pas préciser la façon dont elle a pu s’enfuir. «C’est une femme très courageuse, qui a eu la chance de pouvoir s’adresser à un policier digne de confiance. Normalement, toute révolte est sévèrement punie. Les filles les plus désobéissantes finissent torturées à mort. Les proxénètes les préviennent dès le départ, c’est pourquoi la plupart ne s’enfuient pas ou ne portent pas plainte. Chacune de ces femmes n’a guère le choix entre la vie, qui est infernale, et la mort». Ljiljana Raicevic cite l’exemple de fillettes de douze ans employées dans les bars à strip-tease.
Selon Ljiljana Raicevic, les profits tirés du trafic des êtres humains seraient aujourd’hui supérieurs à ceux du trafic de drogue. Les experts en criminologie parlent d’un «stade primaire» de l’accumulation du capital mafieux: après les êtres humains, les réseaux criminels accèdent généralement aux marchés des armes et de la drogue.
Les Balkans occupent une position complexe sur les routes du trafic des êtres humains. Généralement, les jeunes femmes proviennent de Moldavie –qui est aujourd’hui le pays le plus pauvre d’Europe– mais aussi d’Ukraine ou de Bulgarie. Elles peuvent être destinées au «marché» local, ou bien simplement transiter par les Balkans avant de gagner l’Europe occidentale. A Londres ou à Bruxelles, les réseaux de la prostitution sont déjà presque entièrement dans les mains de gangs criminels albanais.
La prostitution occupe une place particulièrement visible au Kosovo et dans les régions albanaises de Macédoine. Entre Tetovo, Gostivar et Struga, sur le flanc nord-ouest de la Macédoine, il n’y a guère de villages albanais qui ne compte un ou plusieurs «cafés» voués à la prostitution. Dans le gros village de Velesta, à côté de Struga, on trouve près d’une dizaine d’établissements de strip-tease. La clientèle est d’abord constituée par les jeunes hommes de la région. La société albanaise de Macédoine est toujours très traditionnelle et patriarcale, les relations sexuelles avant le mariage sont presque impossibles, et le bordel constitue donc une étape presque systématique pour les jeunes hommes. Parmi les clients, on compte aussi des Slaves macédoniens, ou encore des militaires du contingent international déployé dans le pays. Récemment, la presse du pays s’est émue des développements du sida. «Présence de militaires étrangers, forte prostitution, toutes les conditions sont réunies pour le développement de l’épidémie», écrivait ainsi le quotidien Dnevnik début décembre.
Le tableau n’est guère différent au Kosovo. A l’entrée de la plupart des villes, des bars et des hôtels de passe comptent les 40 000 militaires du contingent international de la KFOR parmi leurs clients les plus réguliers. A quelques reprises, l’administration des Nations unies s’est émue de la situation, mais sans avoir les moyens ni la volonté politique d’entreprendre une véritable politique répressive.
Les principales plaques tournantes importantes de la prostitution sont à peu près connues: la Voïvodine, la Bosnie, le Kosovo, la Macédoine, et encore quelques «zones franches» mafieuses, comme le village de Veliki Trnovac, dans le sud de la Serbie, qui se trouve à la limite de la zone autrefois contrôlée par la guérilla séparatiste albanaise. Les réseaux qui contrôlent ces trafics, qu’ils soient albanais, serbes ou monténégrins, coopèrent étroitement, et associent généralement le trafic des êtres humains à d’autres activités criminels. Le Monténégro et l’Albanie, ouverts sur la Mer Adriatique, forment le débouché de ces réseaux, avec la possibilité «d’exportation» vers l’Europe occidentale.
Dans leur grande majorité, les victimes des trafiquants balkaniques viennent de pays plus orientaux, mais la prostitution touche aussi de plus en plus les jeunes serbes, monténégrines ou albanaises.
Les timides accords de coopération policière entre les pays des Balkans ont tous un volet consacré à la lutte contre le trafic des êtres humains, mais les résultats se font toujours attendre. L’Organisation internationale des migrations (OIM) a consacré de nombreuses enquêtes à ces trafics, mais les moyens dont disposent les organisations internationales demeurent dramatiquement limitées: «tout ce que propose l’OIM, c’est un billet d’avion vers le pays d’origine, et cent euros», s’indigne Ljiljana Raicevic à Podgorica. «Ces jeunes filles ont souffert dans notre pays. Grâce à leur exploitation, les trafiquants ont pu construire des grandes villas, s’acheter de puissantes voitures. Nous avons un devoir moral d’arracher un dédommagement significatif pour les victimes de la prostitution».
Le 1er décembre dernier, l’adjoint du procureur de la République du Monténégro est arrêté. Zoran Piperovic est accusé d’être impliqué dans un vaste réseau de proxénétisme. Le scandale a éclaté à la suite des révélations d’une jeune femme moldave, abritée dans un foyer sécurisé pour femmes maltraitées de Podgorica. Depuis, les révélations se multiplient.
La directrice du foyer de Podgorica, Ljiljana Raicevic essayait depuis des années de sensibiliser l’opinion et les pouvoirs publics au sort de ces milliers de jeunes femmes réduites au statut d’esclaves sexuels aux mains de trafiquants qui se les «revendent» entre eux. Cette femme courageuse ne cesse d’apporter les preuves de l’existence de la «sainte trinité» qui permet ce trafic des êtres humains: la collusion entre la mafia, la police et la justice.
Le sort de la jeune Moldave recueillie à Podgorica est tragiquement banal dans les Balkans. Elle a répondu à une offre de travail à l’étranger, dans le but d’aider sa mère à rembourser les dettes occasionnées par l’achat de deux vaches. Sitôt la frontière moldave passée, son passeport lui a été confisqué, et elle est passée entre les mains de plusieurs proxénètes, d’abord en Voïvodine (nord de la Serbie), puis en Bosnie, et enfin au Monténégro, où elle a «travaillé» durant trois ans dans les bars à strip-tease de Podgorica. La jeune femme a été à plusieurs reprises «revendue».
Les filles risquent la mort si elles parlent
L’identité exacte de cette jeune Moldave est tenue secrète, et Ljiljana Raicevic ne veut pas préciser la façon dont elle a pu s’enfuir. «C’est une femme très courageuse, qui a eu la chance de pouvoir s’adresser à un policier digne de confiance. Normalement, toute révolte est sévèrement punie. Les filles les plus désobéissantes finissent torturées à mort. Les proxénètes les préviennent dès le départ, c’est pourquoi la plupart ne s’enfuient pas ou ne portent pas plainte. Chacune de ces femmes n’a guère le choix entre la vie, qui est infernale, et la mort». Ljiljana Raicevic cite l’exemple de fillettes de douze ans employées dans les bars à strip-tease.
Selon Ljiljana Raicevic, les profits tirés du trafic des êtres humains seraient aujourd’hui supérieurs à ceux du trafic de drogue. Les experts en criminologie parlent d’un «stade primaire» de l’accumulation du capital mafieux: après les êtres humains, les réseaux criminels accèdent généralement aux marchés des armes et de la drogue.
Les Balkans occupent une position complexe sur les routes du trafic des êtres humains. Généralement, les jeunes femmes proviennent de Moldavie –qui est aujourd’hui le pays le plus pauvre d’Europe– mais aussi d’Ukraine ou de Bulgarie. Elles peuvent être destinées au «marché» local, ou bien simplement transiter par les Balkans avant de gagner l’Europe occidentale. A Londres ou à Bruxelles, les réseaux de la prostitution sont déjà presque entièrement dans les mains de gangs criminels albanais.
La prostitution occupe une place particulièrement visible au Kosovo et dans les régions albanaises de Macédoine. Entre Tetovo, Gostivar et Struga, sur le flanc nord-ouest de la Macédoine, il n’y a guère de villages albanais qui ne compte un ou plusieurs «cafés» voués à la prostitution. Dans le gros village de Velesta, à côté de Struga, on trouve près d’une dizaine d’établissements de strip-tease. La clientèle est d’abord constituée par les jeunes hommes de la région. La société albanaise de Macédoine est toujours très traditionnelle et patriarcale, les relations sexuelles avant le mariage sont presque impossibles, et le bordel constitue donc une étape presque systématique pour les jeunes hommes. Parmi les clients, on compte aussi des Slaves macédoniens, ou encore des militaires du contingent international déployé dans le pays. Récemment, la presse du pays s’est émue des développements du sida. «Présence de militaires étrangers, forte prostitution, toutes les conditions sont réunies pour le développement de l’épidémie», écrivait ainsi le quotidien Dnevnik début décembre.
Le tableau n’est guère différent au Kosovo. A l’entrée de la plupart des villes, des bars et des hôtels de passe comptent les 40 000 militaires du contingent international de la KFOR parmi leurs clients les plus réguliers. A quelques reprises, l’administration des Nations unies s’est émue de la situation, mais sans avoir les moyens ni la volonté politique d’entreprendre une véritable politique répressive.
Les principales plaques tournantes importantes de la prostitution sont à peu près connues: la Voïvodine, la Bosnie, le Kosovo, la Macédoine, et encore quelques «zones franches» mafieuses, comme le village de Veliki Trnovac, dans le sud de la Serbie, qui se trouve à la limite de la zone autrefois contrôlée par la guérilla séparatiste albanaise. Les réseaux qui contrôlent ces trafics, qu’ils soient albanais, serbes ou monténégrins, coopèrent étroitement, et associent généralement le trafic des êtres humains à d’autres activités criminels. Le Monténégro et l’Albanie, ouverts sur la Mer Adriatique, forment le débouché de ces réseaux, avec la possibilité «d’exportation» vers l’Europe occidentale.
Dans leur grande majorité, les victimes des trafiquants balkaniques viennent de pays plus orientaux, mais la prostitution touche aussi de plus en plus les jeunes serbes, monténégrines ou albanaises.
Les timides accords de coopération policière entre les pays des Balkans ont tous un volet consacré à la lutte contre le trafic des êtres humains, mais les résultats se font toujours attendre. L’Organisation internationale des migrations (OIM) a consacré de nombreuses enquêtes à ces trafics, mais les moyens dont disposent les organisations internationales demeurent dramatiquement limitées: «tout ce que propose l’OIM, c’est un billet d’avion vers le pays d’origine, et cent euros», s’indigne Ljiljana Raicevic à Podgorica. «Ces jeunes filles ont souffert dans notre pays. Grâce à leur exploitation, les trafiquants ont pu construire des grandes villas, s’acheter de puissantes voitures. Nous avons un devoir moral d’arracher un dédommagement significatif pour les victimes de la prostitution».
par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 28/12/2002