Balkans
Bosnie, Kosovo l’exemple de deux protectorats internationaux
Les protectorats, par essence, n’ont qu’un temps, et les représentants internationaux en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo cherchent désormais à rétrocéder le plus de compétences possibles aux institutions locales, non sans faire naître de nouvelles polémiques dans des sociétés encore traumatisées par la guerre.
De notre correspondant à Belgrade
Il y a, dans les Balkans comme partout, ce que dit le droit, et la réalité de situations qui ne correspondent pas forcément aux dispositions des résolutions internationales. Depuis la fin d’une guerre qui a fait plus de 200 000 victimes et les accords de Dayton, conclus à l’automne 1995, la Bosnie-Herzégovine est censée former un seul pays, mais divisé en deux «entités», la Fédération croato-bosniaque et la Republika Srpska.
En réalité, le pays est toujours divisé en trois zones bien distinctes, car la Fédération croato-bosniaque, échafaudée dès les accords de Washington du printemps 1994, est en réalité divisée en cantons majoritairement bosniaques musulmans et croates. Les dirigeants ultranationalistes croates de Bosnie rêvent toujours de constituer une troisième «entité» légalement reconnue, voire même de faire sécession.
Depuis 1995, la communauté internationale s’est vue reconnaître un rôle d’arbitre politique suprême, parallèlement au déploiement dans le pays de quelque 40 000 soldats de l’OTAN –cet effectif a, depuis, été réduit à moins de 25 000 hommes. Le bureau du Haut Représentant (OHR) a le pouvoir discrétionnaire de casser ou d’amender des lois qui ne seraient pas en accord avec les accords de Dayton. Il peut même interdire d’activité politique des dirigeants bosniaques qui ne respecteraient pas les dispositions des accords de Dayton : en 1997, le Président élu de la Republika Srpska a, ainsi, été révoqué. Malgré cet interventionnisme souvent tatillon du OHR, la Bosnie-Herzégovine est pourtant formellement souveraine.
La situation du Kosovo est bien différente. D’après la résolution 1244 du Conseil de sécurité, adoptée à l’issue de la guerre menée par l’OTAN contre la Fédération yougoslave au printemps 1999, ce territoire est placé sous administration provisoire des Nations Unies, «dans le cadre du respect de l’intégrité territoriale de la Fédération yougoslave». Le Représentant spécial du Secrétaire général, placé à la tête de la Mission des Nations unies au Kosovo (MINUK), est un gouverneur tout puissant, dont les décrets ont force de loi. Il doit toujours valider les décisions du Parlement, élu en novembre 2001, et du gouvernement laborieusement mis en place dans les mois qui ont suivi cette élection.
Une transition vers l’indépendance
Ce rigide protectorat des Nations unies est, certes, de nature provisoire, mais la question du statut final du Kosovo reste sans réponse, et la situation du territoire ressemble à celle du verre à demi plein, à demi vide. Pour les Albanais, le protectorat ne devrait être qu’une transition vers l’indépendance espérée, et ils déplorent fréquemment la trop étroite marge d’autonomie qui est laissée au Kosovo. Les Serbes, par contre, souhaitent le maintien du lien avec Belgrade, et ils estiment que les Nations Unies ne respectent pas les dispositions de la résolution 1244, qui prévoyaient, par exemple, le retour de l’armée yougoslave et de la police sur les frontières du Kosovo. Les Serbes s’opposent aujourd’hui au transfert des compétences de la MINUK vers les institutions du Kosovo, y voyant un pas dangereux vers l’indépendance.
Le processus de désengagement international est par contre bien avancé en Bosnie. Le Haut représentant Wolfgang Petritsch a réussi à faire adopter, en 2001, une série d’importantes dispositions légales, qui limitent les compétences de chacune des deux entités, au profit des institutions de l’État commun de Bosnie. Dans le même temps, la communauté internationale en revient à une ligne moins interventionniste. Pour la première fois depuis le retour à la paix, les élections générales d’octobre 2002 ont été organisées par les Bosniaques eux-mêmes, et non pas par l’OSCE.
Malgré l’obstruction permanente de certains politiciens nationalistes locaux, la communauté internationale s’en tient à une ligne claire en Bosnie : bien que fortement décentralisé, le pays doit fonctionner comme un État, excluant tout nouvel éclatement. La bataille pour la sauvegarde institutionnelle du pays est à peu près achevée, même si d’autres défis attendent, notamment ceux d’une transition économique catastrophique.
Dans le cas du Kosovo, à l’inverse, les politiques souvent erratiques des trois chefs successifs de la MINUK le Français Bernard Kouchner, le Danois Hans Haekkerup et aujourd’hui l’Allemand Michael Steiner, qui ont tous achevé avant terme leur mandat, donnent l’impression que la communauté internationale navigue à vue. Après avoir attisé le séparatisme albanais du Kosovo tant que Slobodan Milosevic dominait à Belgrade, la communauté internationale le considère désormais comme un facteur de déstabilisation pour l’ensemble des Balkans.
Cependant, dès les semaines qui ont suivi l’entrée des troupes de l’OTAN et l’instauration du protectorat international, la situation a pris un tour irréversible : règlements de compte, violences, meurtre, exode de plus de 200 000 Serbes, tandis que les Serbes qui restaient sur le territoire étaient parqués dans des enclaves interdites d’accès aux Albanais. Dans ces conditions, l’option d’un partage définitif du territoire sur des critères ethniques est aujourd’hui de plus en plus sérieusement envisagée comme la seule issue «réaliste». Ce partage sonnerait pourtant comme un désaveu flagrant pour la communauté internationale qui s’était engagée en faveur d’un Kosovo multiethnique et qui n’a pas su, depuis juin 1999, mettre à profit les pleins pouvoirs que lui accordait le statut du protectorat.
Il y a, dans les Balkans comme partout, ce que dit le droit, et la réalité de situations qui ne correspondent pas forcément aux dispositions des résolutions internationales. Depuis la fin d’une guerre qui a fait plus de 200 000 victimes et les accords de Dayton, conclus à l’automne 1995, la Bosnie-Herzégovine est censée former un seul pays, mais divisé en deux «entités», la Fédération croato-bosniaque et la Republika Srpska.
En réalité, le pays est toujours divisé en trois zones bien distinctes, car la Fédération croato-bosniaque, échafaudée dès les accords de Washington du printemps 1994, est en réalité divisée en cantons majoritairement bosniaques musulmans et croates. Les dirigeants ultranationalistes croates de Bosnie rêvent toujours de constituer une troisième «entité» légalement reconnue, voire même de faire sécession.
Depuis 1995, la communauté internationale s’est vue reconnaître un rôle d’arbitre politique suprême, parallèlement au déploiement dans le pays de quelque 40 000 soldats de l’OTAN –cet effectif a, depuis, été réduit à moins de 25 000 hommes. Le bureau du Haut Représentant (OHR) a le pouvoir discrétionnaire de casser ou d’amender des lois qui ne seraient pas en accord avec les accords de Dayton. Il peut même interdire d’activité politique des dirigeants bosniaques qui ne respecteraient pas les dispositions des accords de Dayton : en 1997, le Président élu de la Republika Srpska a, ainsi, été révoqué. Malgré cet interventionnisme souvent tatillon du OHR, la Bosnie-Herzégovine est pourtant formellement souveraine.
La situation du Kosovo est bien différente. D’après la résolution 1244 du Conseil de sécurité, adoptée à l’issue de la guerre menée par l’OTAN contre la Fédération yougoslave au printemps 1999, ce territoire est placé sous administration provisoire des Nations Unies, «dans le cadre du respect de l’intégrité territoriale de la Fédération yougoslave». Le Représentant spécial du Secrétaire général, placé à la tête de la Mission des Nations unies au Kosovo (MINUK), est un gouverneur tout puissant, dont les décrets ont force de loi. Il doit toujours valider les décisions du Parlement, élu en novembre 2001, et du gouvernement laborieusement mis en place dans les mois qui ont suivi cette élection.
Une transition vers l’indépendance
Ce rigide protectorat des Nations unies est, certes, de nature provisoire, mais la question du statut final du Kosovo reste sans réponse, et la situation du territoire ressemble à celle du verre à demi plein, à demi vide. Pour les Albanais, le protectorat ne devrait être qu’une transition vers l’indépendance espérée, et ils déplorent fréquemment la trop étroite marge d’autonomie qui est laissée au Kosovo. Les Serbes, par contre, souhaitent le maintien du lien avec Belgrade, et ils estiment que les Nations Unies ne respectent pas les dispositions de la résolution 1244, qui prévoyaient, par exemple, le retour de l’armée yougoslave et de la police sur les frontières du Kosovo. Les Serbes s’opposent aujourd’hui au transfert des compétences de la MINUK vers les institutions du Kosovo, y voyant un pas dangereux vers l’indépendance.
Le processus de désengagement international est par contre bien avancé en Bosnie. Le Haut représentant Wolfgang Petritsch a réussi à faire adopter, en 2001, une série d’importantes dispositions légales, qui limitent les compétences de chacune des deux entités, au profit des institutions de l’État commun de Bosnie. Dans le même temps, la communauté internationale en revient à une ligne moins interventionniste. Pour la première fois depuis le retour à la paix, les élections générales d’octobre 2002 ont été organisées par les Bosniaques eux-mêmes, et non pas par l’OSCE.
Malgré l’obstruction permanente de certains politiciens nationalistes locaux, la communauté internationale s’en tient à une ligne claire en Bosnie : bien que fortement décentralisé, le pays doit fonctionner comme un État, excluant tout nouvel éclatement. La bataille pour la sauvegarde institutionnelle du pays est à peu près achevée, même si d’autres défis attendent, notamment ceux d’une transition économique catastrophique.
Dans le cas du Kosovo, à l’inverse, les politiques souvent erratiques des trois chefs successifs de la MINUK le Français Bernard Kouchner, le Danois Hans Haekkerup et aujourd’hui l’Allemand Michael Steiner, qui ont tous achevé avant terme leur mandat, donnent l’impression que la communauté internationale navigue à vue. Après avoir attisé le séparatisme albanais du Kosovo tant que Slobodan Milosevic dominait à Belgrade, la communauté internationale le considère désormais comme un facteur de déstabilisation pour l’ensemble des Balkans.
Cependant, dès les semaines qui ont suivi l’entrée des troupes de l’OTAN et l’instauration du protectorat international, la situation a pris un tour irréversible : règlements de compte, violences, meurtre, exode de plus de 200 000 Serbes, tandis que les Serbes qui restaient sur le territoire étaient parqués dans des enclaves interdites d’accès aux Albanais. Dans ces conditions, l’option d’un partage définitif du territoire sur des critères ethniques est aujourd’hui de plus en plus sérieusement envisagée comme la seule issue «réaliste». Ce partage sonnerait pourtant comme un désaveu flagrant pour la communauté internationale qui s’était engagée en faveur d’un Kosovo multiethnique et qui n’a pas su, depuis juin 1999, mettre à profit les pleins pouvoirs que lui accordait le statut du protectorat.
par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 15/04/2003