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Balkans

Les limites de la lutte contre le crime organisé

Au lendemain de l’assassinat du Premier ministre Djindjic, la Serbie s’est lancée dans une immense opération de lutte contre le crime organisé. Mais une opération de police peut-elle suffire à éradiquer cette gangrène qui affecte l’ensemble de la société ? L’exemple de Novi Pazar.
Le Sandjak de Novi Pazar pourrait revendiquer le titre de cœur des Balkans. Cette petite région, partagée entre la Serbie et le Monténégro, s’étire entre la Bosnie et le Kosovo. Novi Pazar, la capitale historique de la région, en Serbie, est depuis des siècles une ville de marché, une ancienne étape sur le chemin des caravanes qui sillonnaient les Balkans à l’époque turque. Aujourd’hui, les Slaves musulmans, qui se disent parfois bosniaques, représenteraient 55% environ de la population du Sandjak, le reste étant composé de Serbes au nord, et de Monténégrins au sud. Mais les chiffres démographiques sont toujours sujets, ici, à contestation. Ce qui est certain, c’est que dans la ville même de Novi Pazar, les musulmans sont au moins 80%. Malgré quelques épisodes ponctuels de nettoyage ethnique, quand la guerre ravageait la Bosnie voisine, la coexistence interethnique a toujours «tenu» dans la région.

L’explication en est simple : «Serbes et musulmans ne s’aiment pas forcément, mais les affaires les réunissent», explique le responsable d’une ONG qui essaie de promouvoir la multiethnicité. Depuis dix ans au moins, Novi Pazar joue le rôle d’une place neutre mafieuse. «La Genève des Balkans», ironisent certains. C’est ici, en effet, que se rencontrent les réseaux criminels serbes, monténégrins, bosniaques et kosovars. À Sarajevo, les Sandjakis ont la réputation de tenir tous les réseaux de trafic, et les véhicules immatriculés à Novi Pazar sont les seuls à pouvoir circuler sans problèmes aussi bien en Serbie, au Monténégro qu’au Kosovo.

La réputation de Novi Pazar dépasse même les frontières de la région : certains «hommes d’affaires» locaux se portent garants, sur leurs biens et sur leur vie, de cargaisons d’héroïne qui circulent d’Istanbul vers l’Europe occidentale. Sans d’ailleurs forcément passer par Novi Pazar. Les garants mafieux se contentant de jouer le rôle qui est dévolu aux assurances mondiales dans des commerces plus licites.

«La route turque de la drogue»

Dans la ville même, la consommation de drogue est en forte hausse. Pour une population d’un peu plus de 100 000 habitants, la police affirme compter quelque 1 000 toxicomanes. L’état d’urgence, proclamé le soir même du meurtre de Zoran Djindjic, a provisoirement freiné les affaires, mais les vagues d’arrestations ont assez peu touché la région de Novi Pazar. Cependant, le prix du gramme d’héroïne a doublé, passant de 30 à 60 euros. Depuis la fin mai, il est revenu à son cours normal de 30 euros, ce qui signifie que les affaires ont pleinement repris après la tempête de l’état d’urgence.

Le chef local de la police reconnaît son impuissance : «nous pouvons faire des saisies, mais nous n’avons pas les moyens de développer la moindre politique de prévention». Si la consommation de drogue est en forte augmentation dans tous les pays des Balkans depuis des années, la région joue cependant avant tout un rôle d’étape sur la «route turque de la drogue», qui relie le Moyen Orient à l’Europe occidentale.

L’état d’urgence a probablement permis de démanteler le clan de Zemun, directement impliqué dans l’assassinat du Premier ministre, et qui passait pour contrôler le marché de la drogue en Serbie. Depuis, les réseaux impliqués dans ce commerce lucratif sont en pleine réorganisation, et les contrecoups de l’état d’urgence se sont fait ressentir dans toute la région. Jusqu’en Bulgarie, où plusieurs boss de la drogue, qui auraient été liés au clan serbe de Zemun, ont été assassinés durant le printemps. Même si de nouveaux réseaux se mettent en place, Novi Pazar est bien certaine de conserver son rôle de plaque tournante des routes européennes de la drogue.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 27/07/2003