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Espagne

Rien ne va plus avec le Vatican

Le Premier ministre espagnol José Luis Rodriguez Zapatero contemple la statue de saint Jacques à St-Jacques-de-Compostelle, le 25 juillet 2004.(Photo: AFP)
Le Premier ministre espagnol José Luis Rodriguez Zapatero contemple la statue de saint Jacques à St-Jacques-de-Compostelle, le 25 juillet 2004.
(Photo: AFP)
L’arrivée au pouvoir du socialiste José Luis Rodriguez Zapatero en Espagne a accéléré un processus rendu inévitable par l’évolution de la société durant les dernières décennies: la perte d’influence de l’Eglise catholique sur la prise de décision politique. Qu’il s’agisse de la reconnaissance des droits des homosexuels, du divorce, de l’enseignement religieux ou des recherches sur les cellules souches, les orientations prises par le gouvernement mettent en cause les principes moraux défendus coûte que coûte par le pape Jean-Paul II. Une situation qui a provoqué une brouille entre le pouvoir espagnol et le Vatican.

Trop, c’est trop. Si la très sainte Eglise catholique ne peut plus compter sur la piété aveugle des Espagnols, où va-t-on ? C’est peu ou prou le sens de la remontrance adressée par Jean-Paul II à ses ouailles ibériques il y a deux jours. Le Pape a ainsi déploré «le contexte social actuel dans lequel grandissent les nouvelles générations d’Espagnols influencées par l’indifférence religieuse, l’ignorance de la tradition chrétienne avec son riche patrimoine spirituel et exposées à la tentation d’une permissivité morale». Il a mis en garde les Espagnols contre la propagation d’une «mentalité inspirée par le laïcisme, une idéologie qui amène, d’une manière plus ou moins consciente, à la restriction de la liberté religieuse jusqu’à promouvoir un mépris ou l’ignorance de la religion, en reléguant la foi au domaine privé et en s’opposant à son expression publique». Et d’en conclure, amer : «Cela ne fait pas partie de la plus noble tradition espagnole».

Mais d’où vient ce courroux ? D’un dérapage verbal incontrôlé du secrétaire général et porte-parole de la Conférence épiscopale espagnole, Juan Antonio Martinez Camino. Oubliant un moment les directives du Vatican sur le sujet, il a affirmé, il y a quelques jours, à la suite d’une réunion avec la ministre de la Santé Elena Salgado que le «préservatif avait sa place dans le contexte de la prévention intégrale et globale du sida». Cette déclaration n’a pas manqué d’être immédiatement interprétée dans le pays comme un changement de doctrine sur une question particulièrement sensible pour l’Eglise. A tort puisque dès le lendemain, la conférence épiscopale espagnole s’est livrée à un rétropédalage dans les règles de l’art en publiant un communiqué religieusement correct qui affirmait qu’«il n’est pas possible de conseiller l’usage du préservatif, contraire à la morale de l’individu».

«Rester chaste et ne pas forniquer»

Cette mise au point n’a pas manqué d’être suivie d’une offensive dirigée par le Saint-Siège pour remettre les pendules chrétiennes de l’Espagne à l’heure de Rome. Le porte-parole du Vatican, Joaquim Navarro Valls, membre de l’Opus Dei, a tenté de réduire l’intérêt du préservatif en le qualifiant «d’ustensile» qui ne permet pas de «traiter le problème [du sida] à son origine». L’ancien ministre de la Santé du Vatican, le cardinal mexicain Javier Lozano Barragan, a quant à lui recentré le débat autour du thème de la nécessaire moralité à laquelle tout bon catholique doit se plier. Il a déclaré : «L’utilisation du préservatif  pour éviter la propagation du sida n’est pas acceptable parce que l’objectif est la lutte contre la fornication…», ajoutant : «L’Eglise ne change pas et ne changera pas ses principes. La doctrine du Saint-Père vise à combattre le sida pour défendre la vie selon deux principes : rester chaste et ne pas forniquer».

Comme en 1996 lorsque l’épiscopat français avait publié un document sur le sida dans lequel il estimait que le préservatif représentait «un moyen de prévention nécessaire», le Vatican a immédiatement fait en sorte de remettre ses troupes au pas. Pas question d’admettre qu’en France, en Espagne ou ailleurs, des membres de l’Eglise se désolidarisent publiquement de leur hiérarchie. Mais dans l’affaire espagnole, le Saint-Siège aurait certainement aimé saisir l’opportunité pour obtenir un peu plus de bonne volonté de la part des autorités politiques. Et là, il s’est heurté à un front du refus.

Le retour en arrière de l’épiscopat espagnol sur la question du préservatif a déjà été critiqué par la ministre de la Santé qui a mis en cause les «considérations morales» de l’Eglise qui «ne peuvent se substituer aux arguments des scientifiques et de l’Organisation mondiale de la santé». Quant aux critiques du pape, elles ont déclenché une véritable bronca. L’une des plus vives réactions est venue de là où on ne l’attendait pas, c’est-à-dire du plus fervent catholique du gouvernement Zapatero, le ministre de la Défense, José Bono. Il a répondu au Pape en déclarant : «On ne peut pas en permanence critiquer le gouvernement pour laïcisme. Le gouvernement espagnol n’est pas le prédicateur de la chrétienté… La foi n’est pas une chose que le gouvernement peut imposer par décret». Il a ensuite attaqué sans détour la position du Vatican sur le préservatif en demandant à l’Eglise espagnole de «ne pas être obnubilée par le sexe» et a affirmé que «le Christ serait aujourd’hui plus préoccupé par ces 25 000 enfants qui meurent chaque jour de faim dans le monde».

Le gouvernement fait «son travail»

Le ministre de la Justice Juan Fernando Lopez Aguilar a, quant à lui, renvoyé le Vatican à ses préoccupations religieuses, et uniquement religieuses, en estimant que l’Eglise et le gouvernement «sont deux sphères complètement distinctes dans toute société démocratique». Il a aussi répondu aux attaques concernant la politique engagée, depuis l’arrivée de Zapatero au pouvoir, sur des sujets comme la légalisation du mariage homosexuel, l’assouplissement du divorce ou l’enseignement religieux à l’école que le gouvernement envisage de ne plus rendre obligatoire. Juan Fernando Lopez Aguilar a déclaré simplement que l’équipe du Premier ministre fait «son travail». Il a expliqué que son rôle est de prendre «l’initiative politique» et de «répondre d’elle devant les citoyens».

Et quoi qu’en pense le Vatican, les Espagnols ne sont ce qu’ils étaient. Pilier de l’Europe catholique pendant longtemps, le royaume ibérique a évolué. Le taux de natalité est, en Espagne, l’un des plus faibles du monde et le nombre de pratiquants a chuté de façon vertigineuse depuis la fin du franquisme. Les préceptes religieux ne semblent plus diriger la vie des Espagnols. Dans ce contexte, et malgré l’accord particulier qui lie depuis 1979 le Saint-Siège et le pouvoir grâce auquel est notamment assuré le financement de l’Eglise espagnole et de l’enseignement religieux, la politique du gouvernement va dans le sens de l’évolution globale de la société.


par Valérie  Gas

Article publié le 26/01/2005 Dernière mise à jour le 26/01/2005 à 17:59 TU

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François Musseau

Correspondant de RFI à Madrid

«L’Eglise espagnole est certainement l’Eglise la plus privilégiée d’Occident et le gouvernement socialiste voudrait rediscuter certains termes de ces privilèges notamment le financement.»

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