Liban
Une réforme électorale majeure
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De notre correspondant à Beyrouth
Le patriarche maronite Nasrallah Sfeir.
(Photo: AFP)
Après des discussions houleuses, le gouvernement a adopté un projet de loi électorale qui divise le Liban en 26 petites circonscriptions. Ce découpage répond au souhait du patriarche maronite Nasrallah Sfeir, considéré comme le chef de l’opposition chrétienne. Il satisfait aussi le leader druze Walid Joumblatt qui a effectué un virage politique spectaculaire en rejoignant, en septembre dernier, les rangs des anti-syriens pour protester contre la prorogation du mandat du président Emile Lahoud, voulu par Damas. Aujourd’hui, il est devenu l’un des plus farouches opposants aux ingérences politiques syriennes au Liban. Six ministres proches de la Syrie sur trente ont déclaré leur opposition à ce découpage qui renforce, selon eux, le sentiment d'appartenance aux communautés religieuses au détriment de l’union nationale préconisée par l'accord de Taëf, qui a mis fin à 15 ans de guerre civile (1975-1990).
Cet accord stipule un découpage électoral sur la base des départements (mohafazat) susceptible d'assurer un brassage entre chrétiens et musulmans. Mais il n’a jamais été totalement et correctement appliqué, et au lieu de contribuer à resserrer les liens entre les Libanais, il a développé un sentiment d’exclusion chez beaucoup d’entre eux, surtout les chrétiens.
Brassage entre chrétiens et musulmans
Pour barrer la route du Parlement aux partis chrétiens qui leur étaient hostiles, comme les Forces libanaises ou les partisans du général Michel Aoun, en exil en France, le pouvoir et les Syriens ont appliqué une philosophie simple mais efficace lors des trois dernières élections législatives (1992, 1996, 2000): dissoudre les grands blocs d’électeurs chrétiens dans de vastes ensembles musulmans de manière à les neutraliser. Résultat: les députés chrétiens étaient élus grâce aux votes musulmans, à de rares exceptions près.
Ainsi, il n’était pas rare de voir des députés chrétiens membres des blocs parlementaires du Hezbollah et du mouvement Amal (chiites), de Walid Joumblatt (druze) ou du mouvement de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri (sunnite). De la sorte, la Syrie et ses alliés ont pu s’assurer le contrôle de plus des deux tiers de la Chambre, ce qui leur a permis d’amender la constitution à deux reprises pour proroger les mandats d’Emile Lahoud et avant lui d’Elias Hraoui.
Nouvelle donne
La philosophie du nouveau projet de loi, qui doit encore être examiné et voté par le Parlement, est toute aussi simple et efficace. En adoptant le caza (sous-district) comme circonscription électorale de base, le projet soustrait les chrétiens au poids déterminant de l’électorat musulman et les libère des effets décisifs de l’impitoyable loi du nombre. Désormais, chaque communauté, ou presque, élira ses représentants authentiques. La voie du Parlement est enfin ouverte aux partis chrétiens hostiles à la Syrie.
Le ministre de l'Intérieur pro-syrien, Sleiman Frangié a affirmé que la loi qu'il a élaborée vise à assurer «une meilleure représentation de l'opposition et des communautés religieuses, chrétiennes notamment». Et comme pour lui faire écho, un des leaders de l'opposition, Dory Chamoun, a déclaré qu'il «fallait reconnaître que le gouvernement a proposé un découpage équitable» et qu'il fallait «en féliciter le ministre de l'Intérieur».
Surveillance internationale
Mais comment se fait-il que le pouvoir et ses alliés syriens aient en quelque sorte creusé leurs propres tombes en élaborant un projet facilitant l’entrée en masse de leurs ennemis politiques au Parlement ? En fait, la situation a changé au Liban depuis l’adoption, début septembre, de la résolution 1559 par le Conseil de sécurité à l’initiative de la France et des Etats-Unis. Ce texte exige de la Syrie la cessation de ses ingérences politiques au Liban et le retrait de ses troupes ainsi que le désarmement du Hezbollah. Depuis cette date, plus précisément depuis la tentative d’assassinat de l’ancien ministre Marwan Hamadé, proche de Joumblatt et de Hariri et ami de Paris et de Washington, les moindres faits et gestes de la Syrie sont surveillés par la communauté internationale. Les langues se sont déliées et le «mur de la peur» est fortement ébranlé. En l’espace de trois mois, l’influence de Damas a considérablement baissé.
Ensuite, il n’est pas acquis que l’adoption du caza permettra à l’opposition de s’assurer la majorité des sièges à la Chambre. Les pro-syriens, dont certains disposent de véritables assises populaires, pensent que cette loi, acceptée par l’opposition et la communauté internationale, leur permettra de remporter plus de la moitié des sièges, et légitimera ainsi leur maintien au pouvoir. Ce sont donc les électeurs qui décideront.
Mais ce projet de loi ne fait pas que des heureux. Le président de la Chambre, Nabih Berry, un des plus fidèles alliés de Damas, y est hostile, de même que l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, en mauvais terme avec la Syrie ces temps-ci. Beyrouth, le fief de Hariri, a été divisé en trois circonscriptions, chrétienne, chiite et sunnite. Le pouvoir a de la sorte retourné contre l’opposition sa propre arme: il permet à chaque communauté d’élire ses propres représentants et espère empêcher Hariri de rafler les 19 sièges de la capitale, comme il l’avait fait en 2000, ce qui lui avait permis de revenir au pouvoir en grand vainqueur.
Malgré l’enthousiasme qu’il a soulevé, ce projet est rétrograde dans certains de ses aspects. C’est ainsi qu’il a renoncé à l'adoption d'un quota pour les femmes et à l'abaissement du droit de vote de 21 à 18 ans. Les jeunes et les femmes devront attendre des jours meilleurs.
par Paul Khalifeh
Article publié le 28/01/2005 Dernière mise à jour le 28/01/2005 à 15:16 TU