Liban
Les pro-syriens envahissent la rue
(Photo: AFP)
De notre correspondant à Beyrouth.
Ils étaient 200 000 selon les agences de presse internationales, 500 000 selon les organisateurs, 100 000 «à peine» selon l’opposition. Ils étaient en tout cas moins nombreux que le million promis par le Premier ministre Omar Karamé à son retour de Damas. Mais au-delà de la bataille des chiffres, il ne fait pas de doute que la manifestation organisée ce mardi par les partis pro-syriens et encouragée par le gouvernement libanais constitue un des plus importants rassemblements populaires de ces dernières années au Liban.
Cette manifestation d’appui à la présence syrienne et de rejet de la résolution 1559 des Nations-unies intervient deux semaines après celle plus modeste de l’opposition, qui a rassemblé quelques milliers de personnes venues soutenir cette résolution. Voté le 2 septembre à l’initiative de la France et des Etats-Unis, ce texte réclame le retrait des troupes syriennes et le désarmement du Hezbollah et des organisations palestiniennes. Tous les six mois, le secrétaire général des Nations unies doit faire un rapport au Conseil de sécurité pour faire le point sur l’application des dispositions de la résolution par Beyrouth et Damas.
Brandissant d’immenses portraits des présidents libanais Emile Lahoud et syrien Bachar el-Assad, les manifestants ont scandé des slogans favorables à la Syrie dont l’armée a selon eux «réunifié le Liban». «Non à la résolution 1559», «Oui à l’unité des destins» entre le Liban et la Syrie, pouvait-on lire sur les milliers de banderoles qui flottaient au-dessus de la foule compacte. L’immense cortège a traversé Beyrouth de bout en bout avant de déboucher sur la place des Martyrs, dans le centre-ville, où avait été accrochée une imposante banderole verte dénonçant «la 1559». Cette résolution constitue «une ingérence dans les affaires intérieures libanaises», pouvait-on y lire.
Profondes divisions
Soumis à de fortes pressions de la part de Washington et de Paris, hostiles à la prorogation du mandat du président Emile Lahoud, les organisateurs de la manifestation voulaient adresser à l’Occident un message fort, montrant qu’une majorité de libanais était opposée à cette résolution. Pour réussir, tous les alliés de Damas au Liban ont été mis à contribution. Des centaines de bus ont acheminé de toutes les régions du pays des milliers de partisans du Hezbollah, du mouvement Amal (du président de la Chambre, Nabih Berry), du Parti syrien national social (laïque, pro-syrien), ainsi que de petites formations de la gauche ou nationalistes arabes.
Des centaines de Palestiniens venus des douze camps de réfugiés dispersés sur le territoire libanais ont également été mobilisés. Certains orateurs ont mis l’accent sur la solidité des relations entre le Liban et la Syrie. D’autres ont mis en garde contre un retour à «la guerre civile» au cas où la résolution onusienne serait appliquée de force. Il est vrai que la manifestation, qui s’est déroulée sans incident, était impressionnante. Mais une partie du paysage politique libanais n’y a pas participé. De gros calibres comme l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et le leader druze Walid Joumblatt y étaient hostiles, à des degrés divers. La présence chrétienne y était faible, le principal mouvement d’opposition chrétien, le Rassemblement de Kornet Chehwan, étant carrément favorable à la mise en œuvre de la 1559.
Certes, le divorce entre les alliés de Damas et les partisans de la résolution de l’ONU n’est pas encore consommé. Tous les ponts ne sont pas rompus et le dialogue se poursuit d’une manière indirecte. Mais la polarisation entre les deux camps a atteint un seuil critique. Cette manifestation a montré combien les Libanais sont toujours divisés, quatorze ans après la fin de la guerre civile, sur des thèmes aussi essentiels que l’indépendance, la souveraineté et la liberté de décision.
par Paul Khalifeh
Article publié le 01/12/2004 Dernière mise à jour le 01/12/2004 à 15:50 TU