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Géorgie

Le Premier ministre meurt asphyxié

Zourab Zhvania, le Premier ministre de la Géorgie, considéré comme l'un des acteurs des réformes économiques a été retrouvé mort par un «empoisonnement au gaz».(Photo : AFP)
Zourab Zhvania, le Premier ministre de la Géorgie, considéré comme l'un des acteurs des réformes économiques a été retrouvé mort par un «empoisonnement au gaz».
(Photo : AFP)
Zourab Zhvania, le Premier ministre de la Géorgie a été retrouvé mort au domicile d’un de ses amis ce jeudi matin. Il a été victime, selon le ministère de l’Intérieur, d’une asphyxie au gaz due à un chauffage défectueux. Le pays perd un homme politique expérimenté qui était souvent à l’origine de la reprise du dialogue avec les régions indépendantistes.

De notre correspondant en Géorgie

C’est une incontournable figure politique géorgienne, de ces dix dernières années, qui disparaît avec la mort de Zourab Zhvania. La perte de cet homme expérimenté, fin connaisseur des rouages de la politique de cette république caucasienne, pourrait avoir des conséquences politiques importantes dans le pays. Jeudi, vers 4 heures du matin, le corps du Premier ministre a été découvert sans vie, au domicile tbilissien d’un de ces amis. Selon le ministre de l’Intérieur, Vano Mérabischvili, «Il semble clair qu'il s'agit d'un empoisonnement au gaz, apparemment un accident.» Un appareil de chauffage d’origine iranienne, mal branché, deux jours plus tôt, d'évacuation, serait la cause de la mort des deux hommes.

Zourab Zhvania était arrivé vers minuit au domicile de cet ami. Inquiets qu’il ne réponde pas à leurs appels téléphoniques, pour le réveiller, ses gardes du corps ont brisé une fenêtre pour entrer dans l’appartement Raoul Youssoupov, vice-gouverneur de la région de Kvemo Kartli. C’est là qu’ils ont découvert le corps du Premier ministre, encore assis dans un fauteuil, tandis que celui de M. Youssoupov était dans la cuisine.

Stupeur en Géorgie

A 41 ans, ce père de trois enfants était une figure majeure de la scène politique nationale. En novembre 2003, il était, avec l’actuel président Mikhail Saakachvili et Nino Bourjanadzé, la président du Parlement, l’un des artisans de la «Révolution des roses» qui a conduit à la démission d’Edouard Chevardnadzé. Depuis janvier dernier, il occupait le poste de Premier ministre.

Entré en politique à la fin des années 80, il devient en 1995 l’homme politique le plus puissant du pays, après Edouard Chevardnadzé. Il occupe le poste de président du parlement. Il y restera jusqu’en 2001, année où il démissionne. Une période où il apprend les ficelles du métier avec l’ancien ministre des Affaires étrangères de Mikhaïl Gorbatchev, son père en politique.

C’est également à cette époque qu’il tisse des liens, avec un talent sans pareil, dans toutes les composantes de la vie politique, économique et sociale, de la Géorgie. Ce qui lui vaudra une réputation d’intrigant et de cynique. Lorsqu’il doit démissionner en 2001, il parvient à placer, à force d’intrigues et de négociations, qui il veut dans son fauteuil, Nino Bourjanadzé en l’occurrence.

Au tournant des années 2000, il devient le chef de file des «réformateurs», l’aile libérale et démocrate d’une classe politique géorgienne corrompue. Une démarche habile de la part d’un homme qui fait partie intégrante de cette vie politique. Il fut par exemple la tête pensante des fraudes électorales de la fin des années 90, sous l’ère Chevardnadzé. Peu intéressé personnellement par l’argent, il ne se serait pas enrichi à l’époque. «S’il en prenait, déclare un député géorgien, c’était pour son parti et des raisons politiques

Personnage peu apprécié des Géorgiens, son immense sens politique l’aide à toujours rester influent. Lorsqu’en 2003, la «Révolution des roses» ébranle le pays, il est aux manettes derrière Mikhaïl Saakachvili. Ce dernier est d’ailleurs venu à la politique à la demande de Zourab Zhvania.

Les relations des deux hommes n’étaient pas bonnes, dès avant la révolution. Tous deux formaient un duo aussi nécessaire que subi. Plusieurs crises politiques, ou, du moins, des petites guéguerres internes au gouvernement, ont secoué le landerneau politique géorgien ces derniers mois. En 2004, à plusieurs reprises, le monde politique a parlé de sa démission, ou de son renvoi.

Avec la mort de Zourab Zhvania, la Géorgie perd un très précieux atout notamment pour ses difficiles relations avec les régions séparatistes. Avec ses contacts dans tous les milieux, son sens politique et son art consommé de la négociation, il était capable de démêler les situations inextricables et de renouer le dialogue avec les leaders indépendantistes. C’est à lui, entre autres, que le chef de l’Adjarie, Aslan Abashidzé, accepte de parler en mars 2004 alors que le bras de fer entre Tbilissi, le Président Saakachvili, et sa région rebelle prend une dangereuse tournure. C’est encore lui, et non Mikhaïl Saakachvili, que le président indépendantiste ossète rencontre cet automne après une vive montée de tension, l’été dernier, entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud. Une montée de tension qui a coûté la vie à 24 hommes des forces de l’intérieur géorgiennes.

Il n’est pas certain que la jeune équipe qui entoure Mikhaïl  Saakachvili, souvent radicale, ait son aptitude à discuter avec les dirigeants de l’Ossétie du Sud ou de l’Abkhazie. Depuis six mois, il s’employait à lancer une nouvelle, et dernière, vague de privatisations. En binôme avec le ministre de l’Économie, entre temps devenu ministre d’Etat en charge des réformes économiques, Kakha Bendukidzé, oligarque russe d’origine géorgienne. Son génie de l’intrigue lui servait dans les négociations qu’il menait avec les acheteurs russes désireux de s’emparer d’une partie des actifs géorgiens afin que Moscou reprenne le contrôle sur son ancienne colonie. Un travail d’équilibriste.

Les premières ventes, des biens du port adjare de Batoumi, laissaient apparaître qu’il traitait avec les ennemis déclarés de M. Saakashvili, membres des clans corrompus de la famille Chevardnadzé ou des partenaires d’affaires, mafieuses, du leader adjare, Aslan Abashidzé. Le faisait-il par manque de choix ou pour des raisons politiques ? Difficile à dire pour l’heure. Toujours est-il que, maladroitement, en janvier, il tentait de dissimuler ses manœuvres.

En Géorgie, comme toujours, la rumeur va bon train. Beaucoup ne veulent pas croire à la thèse de l’accident. Le pays a connu depuis son indépendance, en 1991, beaucoup d’assassinats politiques et mafieux. Toutefois, jeudi en début d’après midi, on ne disposait d’aucun autres éléments que ceux fournis par le pouvoir, à savoir l’hypothèse d’un «empoisonnement au gaz».

par Régis  Genté

Article publié le 03/02/2005 Dernière mise à jour le 03/02/2005 à 16:06 TU