Espace
Ariane 5 « 10 tonnes » lanceur lourd au pied du mur
(Photo : Frédéric Farine)
De notre correspondant en Guyane
C’est l’angoisse du tireur de penalty autour d’Ariane 5 ECA. Depuis son échec de décembre 2002, lorsque la fusée avait du être détruite en vol après avoir quitté sa trajectoire, elle a mobilisé toutes les attentions : « 130 répétitions sol ont été effectuées, c’est du jamais vu » se félicite Jean-Charles Vincent, directeur à Kourou d’Arianespace, l’opérateur de lancement « Mais seul un tir testera sans pression atmosphérique le moteur Vulcain 2 plus puissant que le Vulcain 1 (celui de l’Ariane 5 générique). Au sol, les conditions de vol sont partiellement simulées » précise-t-il.
Seize mois avaient séparé l’échec de la première Ariane 5 G en juin 1996 de son retour en vol. Plusieurs fois différé, celui de la « 10 tonnes », susceptible d’emmener 9,4 t de charge, aura attendu plus de deux ans. Parmi les aléas, le 7 octobre 2004, au cours de la RSL (Répétition des systèmes lanceurs), sur le troisième étage cryogénique, une innovation qui permet d’augmenter la charge embarquée, des difficultés à mettre à froid avant propulsion sont constatées et décalent le tir en 2005. Une seconde RSL, le 12 janvier, a fini par rassurer sur ce point. Toutefois, les Espagnols ne paieront leur satcom XTAR-Eur, embarqué sur l’ECA, qu’en cas de succès de la mission : « Et encore à un prix d’ami », indique-t-on à l’ESA.
« Pas de suppressions de poste en 2005 »
Sur la base spatiale, l’année 2004 aura aussi été perturbée par des tensions sociales liées aux suppressions de postes, plus de 300 entre décembre 2002 et décembre 2004, l’effectif ayant chuté d’environ 1650 à 1348 personnes. Les causes : l’arrêt d’Ariane 4, déficitaire, l’échec de la 10 tonnes et l’élaboration d’un plan de restructuration de la base, le conseil ministériel de l’ESA y réclamant 20% d’économies. Ce plan devait être présenté en 2004, avec une perspective finale de 400 suppressions d’emplois et la signature de contrats industriels mi-2005. Fin 2004, après deux mois de grogne des syndicats de la base, la réorganisation a été repoussée. La direction du Cnes (Centre national d’études spatiales), longtemps muette sur le volet social mais redoutant une fronde en période de tir, a lâché du lest. Le 22 décembre 2004, dans 2 courriers, Yannick d’Escatha, le président du Cnes, demande à ses cadres d’élaborer, pour juillet 2005, deux projets : l’un industriel, l’autre social : « Les schémas d’organisation, de recherche d’économie doivent minimiser l’impact sur l’emploi et le social » y souligne-t-il. « Il n’y aura pas de suppression de postes sur la base en 2005 » a depuis assuré le directeur du Cnes à Kourou, Jean-Louis Marcé. Sauf qu’un échec de la 10 tonnes changerait la donne. Cette « deuxième catastrophe », aucun commerçant de la ville ne la souhaite : « Ca me ferait plier bagages » lance Elisabeth Pelé, propriétaire depuis 1992 d’un magasin de souvenirs de 200 m² à l’entrée de Kourou. « Avec la fin des grands chantiers (Barrage EDF, pas de tir Ariane 5), puis la baisse des cadences de lancement, les missions se sont réduites et j’ai perdu 70% de mon chiffre d’affaires en 7 ans » assure-t-elle. Une comptable d’entreprises confirme : « Des magasins d’habillement ont perdu 30 à 50 % de leur chiffre d’affaires par an depuis 2 ans et les restaurants ne font guère mieux » En 2002, 12 fusées s’étaient envolées de Kourou contre 4 en 2003 (dont la dernière Ariane 4) puis 3 en 2004.
Certes, Ariane 5 G, après des débuts tourmentés, vient de réussir 9 tirs d’affilée. Mais, limitée à 6,8 t d’emport elle est déficitaire car contrainte d’ajuster l’offre aux prix cassés des alliances américaines avec des lanceurs de l’Est. L’arrivée de Soyouz prend là tout son sens selon Fernando Doblas directeur de l’ESA à Kourou : « Si Soyouz était allé aux Etats-Unis, les Américains auraient eu le monopole des lanceurs bon marché et fiables. Soyouz pourra, avec Vega (petit lanceur financé en majorité par l’Italie, pour mettre en orbite, depuis Kourou, des satellites de 1,5 t à partir de 2008), capturer le marché des satellites de moins de 3 tonnes afin de compléter l’Ariane 5 ECA pour ses lancements doubles ».
Le chantier Soyouz sous la pluie
En 2004, le bouclage financier de Soyouz, a quelque peu bégayé. Alors que depuis février, 82,7 % des 223 millions d’euros de quote-part de l’ESA étaient acquis grâce à six de ses 15 pays (France 58%, Italie 8%, Belgique 6%, Allemagne 5,19%, Espagne 3% et Suisse 2,5%), le début des gros travaux est longtemps resté suspendu à l’octroi d’un prêt de 121 millions sollicité par Arianespace, auprès de la BEI (Banque européenne d’investissements), pour financer sa participation. Après la défection de l’Union européenne, puis d’autres pays de l’ESA pour garantir ce prêt, la France s’est résolue à remplir ce rôle mi-décembre. Dans la foulée, l’ESA, maître d’ouvrage du chantier, a permis l’entame des travaux de terrassements le 5 janvier.
Mais en Guyane, janvier lance une saison des pluies de six mois, très prononcée depuis le début de l’année. « C’est gênant » admet Jacques Bertrand responsable des installations nouvelles au Cnes, maître d’œuvre du chantier : « Il y a des zones inondées, on travaille sur les endroits épargnés et l’on compte sur le petit été de mars. Mais si les pluies sont fortes d’avril à juin, il faudra arrêter les travaux ». Or, Arianespace a signé un contrat avec les Australiens d’Optus pour un tir de Soyouz en Guyane en 2007. « Arianespace nous met la pression pour coller à ce calendrier, mais ce sera très difficile » confie M. Bertrand. Trois ans de travaux seront nécessaires, selon le Cnes, à partir de l’entame des terrassements. En clair, Soyouz ne s’envolera pas de Sinnamary avant 2008. En attendant le lanceur russe, la qualification de la « 10 tonnes » pour les vols commerciaux est subordonnée à deux succès de rang.
Pour son retour, officiellement évalué à 555 millions d’euros payés par l’ESA, Ariane 5 ECA ne peut se contenter d’un demi-succès.
par Frédéric Farine
Article publié le 11/02/2005 Dernière mise à jour le 11/02/2005 à 12:10 TU