Etats-Unis-Europe
George Bush en mission
(Photo : AFP)
Condoleezza Rice était partie en reconnaissance pour déminer le terrain. Au président Bush maintenant d’aplanir les divergences avec les Européens. «Alors que nous surpassons les différences du passé, nous pouvons beaucoup travailler ensemble pour remplir de grands objectifs», a-t-il expliqué, ajoutant : «Je suis enthousiaste à l’idée d’aller en Europe, pour dire : écoutez, nous partageons de nombreuses valeurs. Nous croyons dans la dignité humaine, les droits de l’homme. Par-dessus tout, nous croyons que chaque âme devrait être libre». Dès lundi, il dînera avec Jacques Chirac à Bruxelles. Les relations entre les deux hommes sont glaciales depuis la crise irakienne. Côté américain, on soupçonne la France de chercher à créer un contre-pouvoir à la puissance américaine en se servant des institutions multilatérales comme d’un levier.
Mais la presse américaine assure que le président Bush tentera de se concentrer sur les secteurs où la France et les États-Unis ont un intérêt partagé : lutter contre les ambitions nucléaires de l’Iran, de la Corée du Nord, et faire avancer le processus de paix au Proche-Orient. George Bush devrait réclamer des contributions financières, notamment pour aider l’autorité palestinienne à reconstruire une infrastructure, mais aussi pour développer l’armée irakienne. Les deux dirigeants auront aussi sans doute beaucoup à se dire sur le dossier syrien. Paris et Washington ont marché main dans la main au Conseil de sécurité pour obtenir la résolution 1559 qui demande à Damas de retirer ses troupes du Liban. L’assassinat de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri n’a fait que rendre ce dossier plus urgent.
La CPI, une nouvelle bataille diplomatiqueLe président français, quant à lui, devrait se faire l’avocat d’une Europe forte et unie sur ces différents dossiers. Le sujet de la Cour pénale internationale (CPI) sera difficile à éviter. Les États-Unis sont isolés au Conseil de sécurité de l’ONU dans le rejet de la cour. Kofi Annan, le Haut commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme Louise Arbour et la plupart des membres du conseil souhaitent que la CPI soit saisie par le Conseil pour juger les atrocités commises au Darfour. Pour les Européens, c’est une occasion historique de mettre la récente CPI à l’épreuve. Mais les États-Unis, qui craignent que l’institution se retourne un jour contre des militaires ou des diplomates américains proposent à la place la création d’un tribunal ad hoc qui serait basé à Arusha en Tanzanie – une solution trop lente et trop coûteuse, estiment les autres membres du Conseil. Cette divergence de vues pourrait nourrir une nouvelle bataille diplomatique, à même de rouvrir les plaies de l’Irak.
Pour se remettre de cette rencontre, le président Bush doit prendre son petit déjeuner mardi avec son fidèle allié et ami Tony Blair. Le Premier ministre britannique est un pion stratégique de la politique irakienne du président Bush. Les États-Unis comptent également sur lui pour enrôler l’aide du reste de l’Europe, et se faire l’avocat sur le vieux continent de la nouvelle doctrine de politique étrangère du président Bush, qui s’est promis de «répandre la liberté» dans le monde. Tony Blair a de son côté annoncé qu’il avait l’intention de ramener les États-Unis à la table des négociations concernant le réchauffement planétaire. George Bush doit ensuite se rendre en Allemagne à Mayence pour y rencontrer le chancelier Gerhard Schröder. L’ambiance ne devrait être guère plus cordiale qu’avec le président français. Là encore, pas de grande réconciliation à attendre, mais peut-être des signes de bonne volonté.
La rencontre la plus importante pour le président américain est peut-être celle de jeudi, en Slovaquie, avec le président russe Vladimir Poutine. Les deux hommes se comprennent et s’apprécient. Ils s’appellent par leur prénom et collaborent étroitement en matière de lutte contre le terrorisme. Mais le nouvel agenda pro-démocratie du président Bush s’accorde mal avec les velléités autoritaires du dirigeant russe. Or, tous les analystes veulent juger du sérieux des déclarations sur la démocratie du président Bush à l’aune de ses relations avec les moins recommandables de ses alliés. Dans ce contexte, le soutien du président russe envers l’ex-premier ministre ukrainien Viktor Ianoukovitch a été du plus mauvais effet. Le département d’État américain s’inquiète aussi des restrictions sur la liberté de la presse russe et de la concentration du pouvoir par le président.
Cette tournée européenne pourrait définir la politique étrangère du second mandat de George Bush. Le Christian Science Monitor évoque une «mission de paix» dont la trajectoire, note le journal, est destinée à éviter de susciter de grandes manifestations anti-Bush dans des pays où le sentiment anti-américain est encore très vivace. «Étant donné que leur sol a été le théâtre de deux guerres mondiales, le malaise des européens envers la projection de la force militaire est compréhensible», estime le quotidien. «Et étant donné l’expansion du réseau européen, leur accentuation du multilatéralisme l’est tout autant. Ces différences renforcent une vieille division du travail. L’Europe manie un « pouvoir doux (soft power) » diplomatique étayé par le « pouvoir dur (hard power) » de l’armée américaine. L’Irak avait précipité ces deux forces l’une contre l’autre. Dans les disputes à venir, elles peuvent être utilisées en concomitance de manière plus efficace.» Le président Bush saura-t-il transformer cette vision en réalité ?par Philippe Bolopion
Article publié le 20/02/2005 Dernière mise à jour le 20/02/2005 à 11:32 TU