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Commerce des armes

Chine : l’Europe souhaite lever son embargo

EADS attend la levée de l'embargo pour vendre du matériel militaire à la Chine (ici, l'hélicoptère de combat Tigre HAP).(Photo : Eurocopter)
EADS attend la levée de l'embargo pour vendre du matériel militaire à la Chine (ici, l'hélicoptère de combat Tigre HAP).
(Photo : Eurocopter)
Le président américain poursuit sa tournée en Europe. Mercredi, tête-à-tête avec le chancelier allemand. Au menu des discussions : l’Otan, l’Iran, l’Irak. Bush et Schröder négocient également la fin de l’embargo européen sur les armes à destination de la Chine.

La France et l’Allemagne l’ont déjà dit à plusieurs reprises : elles souhaitent que l’embargo sur les ventes d’armes imposé à la Chine après la répression des manifestations de la place Tianamen (en 1989) soit levé. Le maintien de cette sanction est qualifié « d’obsolète » alors que la Chine est devenue le deuxième partenaire commercial d’une Union à 25 et que l’UE est le plus grand partenaire économique de ce pays. « Nous ne pouvons pas avoir des relations avec Pékin dans les domaines économique, médical… et conserver l’embargo tel quel », déclarait tout récemment le ministre français de la Défense, Michèle Alliot-Marie.

Soutenir Taïwan

Plusieurs dirigeants européens parmi lesquels Chirac et Schröder se sont déjà prononcés plusieurs fois pour une reprise du commerce des armes entre l’Europe et la Chine. Les Etats-Unis sont toujours contre. Ils estiment que cette décision « enverrait un mauvais signal »  à Pékin, selon la formule employée par Condoleezza Rice, le secrétaire d’Etat américain. De son point de vue, la situation des droits de l’Homme n’a pas vraiment changé en Chine depuis la répression de 1989. Le souci des Américains est aussi que rien ne modifie l’équilibre géostratégique dans cette région du monde. La paix dans le détroit de Taïwan a d’ailleurs été réaffirmée récemment par Washington comme « un objectif commun » avec le Japon. La CIA de son côté indiquait il y a peu de temps que la modernisation de l’armée chinoise pourrait changer le rapport de forces dans cette région du monde et « augmenter les risques » pour les 97 000 soldats américains basés dans la zone Asie-Pacifique. En plus, les Etats-Unis continuent à soutenir Taïwan dans sa volonté d’indépendance face à la République populaire de Chine. Le Congrès américain est sur la même ligne puisqu’il a ouvertement menacé les Européens de représailles si les transferts de technologie dont les alliés bénéficient de la part des Américains finissaient par des exportations en Chine.

Créer des liens avec la Chine

Le gouvernement français défend la position contraire. Paris estime que lever l’embargo pourrait freiner la course à l’innovation des ingénieurs chinois. Libre d’importer des armes, le gouvernement chinois serait peut-être dissuadé d’en inventer. Cet argument lancé par le ministre français de la Défense est conforté par le point de vue d’un diplomate européen : « Nous affirmons en toute confiance que nous ne perturberons pas l’équilibre en Asie ».

Au moment même où le président américain et le chef du gouvernement allemand discutaient notamment de l’embargo, le nouveau commissaire européen au Commerce, Peter Mandelson, s’exprimait, à la veille de son premier voyage à Pékin. « Je ne vois pas de plus grand défi stratégique pour l’Europe que de réaliser l’ascension spectaculaire de la Chine et de créer des liens avec elle. Je suis persuadé que les Européens doivent mieux percevoir que la Chine assume les responsabilités qui vont de pair avec son nouveau poids politique et commercial dans le monde, a indiqué, dans un communiqué, ce proche du Premier ministre britannique Tony Blair. Peter Mandelson ajoutait : «La Chine a un intérêt énorme à renforcer un système commercial fondé sur des règles ».

« Comprendre les besoins des Chinois »

Peter Mandelson va en Chine pour parler des importations de textile en Europe qui ne sont plus encadrées par des quotas depuis le premier janvier dernier. L’embargo sur les ventes d’arme sera également au menu des discussions. Car si Paris, Berlin, et Londres souhaitent en finir avec cette « punition », les arrières-pensées économiques sont la toile de fond de cette normalisation. EADS, le numéro un européen de l’aéronautique, de la défense  et de  l’espace, souhaite entamer des discussions avec Pékin dès que l’interdit sera levé. « Une fois l’embargo levé, nous approcherons évidemment les Chinois pour comprendre leurs besoins », expliquait il y a quelques semaines Rainer Hertrich, coprésident du consortium européen. Le dirigeant allemand avait toutefois précisé que le rétablissement des liens commerciaux restait lié à « l’établissement d’un code de bonne conduite qui s’applique de manière uniforme à tous ».

« Ils m’ont dit qu’ils peuvent mettre au point une sorte de protocole de façon à ce que cela ne préoccupe pas les Etats-Unis », a indiqué George W. Bush au cours de ses entretiens à Bruxelles avec les leaders européens. Mais les Européens devront d’abord « vendre » ce protocole au Congrès, « car c’est le Congrès qui prendra la décision s’agissant de la manière dont nous réagirons en cas de transfert de technologie à la Chine ».

Une « discrimination »  qui pourrait coûter cher à l’Europe

Jacques Chirac a rappelé, après sa rencontre lundi avec le président américain, que la levée de l’embargo serait « progressive » et qu’elle pourrait s’accompagner d’un « code de bonne conduite », en plus des réglementations sur les transferts de technologie auxquelles sont tenus les Européens. Le président français a également proposé des rendez-vous réguliers entre l’UE et les Etats-Unis pour discuter de l’évolution des relations avec la Chine. Pour Jacques Chirac, « la Chine est un partenaire stratégique de l’Union européen. Nous voulons lever les derniers obstacles à nos relations avec elle ».

« Si la Chine est pressée de voir l’embargo levé, ce n’est pas parce qu’elle a hâte d’acheter des armes européennes, c’est parce qu’elle s’oppose à la discrimination ». Voici ce que déclarait Wen Jiabao, le Premier ministre chinois, lors d’une visite à Pékin, en décembre dernier, de Gerhard Schröder. Si elle durait, cette « discrimination » pourrait d’ailleurs coûter cher à l’Europe. Airbus, filiale à 80% d’EADS, espère que la Chine va lui commander une demi-douzaine d’Airbus A 380, le nouveau gros porteur. Si l’embargo n’est pas levé, les Chinois pourraient donner ce contrat à Boeing, le concurrent d’Airbus.

Au cours de ses entretiens en début de semaine à Bruxelles, le président américain a exprimé « sa profonde préoccupation » face à une possible levée de l’embargo européen sur la livraison d’armes à la Chine.  Cependant Georges W. Bush a pu constater que tous les pays membres de l’Union ne sont pas d’accord sur cette question. Du côté de l’Europe du Nord, on estime que la Chine n’a pas encore manifesté assez de bonne volonté sur la question des droits de l’Homme pour lever une sanction que d’autres qualifient de « symbolique ».

par Colette  Thomas

Article publié le 23/02/2005 Dernière mise à jour le 23/02/2005 à 17:27 TU