Liban
Démonstration de force des pro-syriens
(Photo: AFP)
Le Hezbollah et une trentaine de partis et courants pro-syriens libanais ont procédé à un imposant étalage de force en mobilisant une foule immense estimée à plusieurs centaines de milliers de personnes, voire plus d’un million selon certaines agences de presse. Les organisateurs, quant à eux, ont avancé le chiffre d’un million six cent mille manifestants, soit le tiers de la population. Ce rassemblement monstre se déroulait alors que les troupes syriennes entamaient leur repli vers la Bekaa conformément à une décision prise lundi à Damas lors d’un sommet entre les présidents syrien et libanais.
Aux cris de «Beyrouth est libre! Dehors l'Amérique!», les manifestants qui venaient de toutes les régions du pays se sont rassemblés sur une place du centre-ville, située à 500 mètres de la place des martyrs où l’opposition libanaise observe un sit-in permanent depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, tué le 14 février dans une attaque à l’explosif contre son convoi. Brandissant des pancartes dénonçant les «ingérences étrangères» au Liban et rejetant la résolution 1559 de l’ONU qui exige, en plus du retrait syrien, le désarmement du Hezbollah, les manifestants ont fait preuve d’une grande discipline. Aucun incident n’a été signalé bien que plusieurs cortèges, notamment ceux qui venaient du Nord-Liban, sont passés à proximité des partisans de l’opposition. De sévères mesures de sécurité ont été prises avant et pendant le rassemblement. Des chiens fouillaient le secteur ainsi que le système des égouts à la recherche d'éventuels engins explosifs. La sécurité rapprochée était assurée par des hommes du Hezbollah.
Des grues ont hissé deux drapeaux géants aux couleurs rouge et blanche frappés du cèdre du Liban sur les lieux de la manifestation. Sur l'un de ces drapeaux, flottaient en anglais les mots «Thank You Syria» («Merci la Syrie»), sur l'autre, on pouvait lire «Non à l'ingérence étrangère», ou encore «Nous voulons la vérité», en allusion à l’assassinat de Rafic Hariri. Des haut-parleurs déversaient des chants patriotiques et des tribuns se succédaient au microphone pour dénoncer la politique américaine et affirmer leur attachement aux «relations stratégiques» avec la Syrie.
Musulmans et chrétiens
Un appel à l'observation d'une minute de silence à la mémoire de l'ancien Premier ministre a été suivi de la diffusion de l'hymne national libanais pour marquer le début de la manifestation tenue sous le slogan de «la souveraineté du Liban et la fidélité à la Syrie».
Les manifestants brandissant des drapeaux libanais et des portraits des présidents syriens, Hafez et Bachar al-Assad, et libanais Emile Lahoud, ainsi que celui du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ou encore du ministre de l’Intérieur démissionnaire Sleimane Frangié, un maronite du Nord-Liban dont des milliers de partisans sont spécialement descendus de leur fief montagneux pour participer au rassemblement.
«Nous manifestons pour exprimer notre condamnation des résolutions de l'ONU et pour soutenir la résistance. Ni George Bush, ni l'ONU ne décidera quelle forme de vie et de gouvernement nous voulons avoir. Nous sommes contre l'intervention étrangère et l'intervention américaine», a affirmé un jeune manifestant. «Nous respectons l'opposition, mais nous avons nos convictions et nous les exprimons aujourd'hui dans la rue», a déclaré un autre manifestant.
Les organisateurs se sont livrés à une mobilisation à grande échelle pour assurer une vaste participation et ils ont réussi leur pari. C’est sans doute un des plus importants rassemblements politiques de l’histoire du Liban. Et c’est après trois semaines d’attentisme que les alliés de Damas ont décidé d'occuper le terrain monopolisé par l’opposition.
Cette manifestation marque un tournant dans la vie du pays secoué par la plus grave crise politique depuis la fin de la guerre, en 1990. Les lignes de démarcations politiques entre les deux camps sont désormais très bien définies. L’opposition, appuyée par les États-Unis, la France et l’Occident en général, pousse vers un changement des options régionales du Liban. Les loyalistes, regroupés autour du Hezbollah, veulent maintenir une «alliance stratégique» avec la Syrie et craignent qu’à terme, le Liban ne retourne dans le giron israélien. Et pour définir clairement le plafond du camp pro-syrien, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, a adressé un série de «messages clairs» ou de propos pleins de sous-entendus.
A l’opposition, il a tendu la main en lui demandant de rester sous le plafond de l’accord de Taëf qui a mis fin à la guerre. A ceux qui misent sur une intervention étrangère pour modifier les rapports de forces, il a dit: «Le Liban n’est pas la Somalie ni l’Ukraine, ni la Géorgie. C’est un pays unique en son genre. Ceux qui pensent pouvoir provoquer l’effondrement de l’État et de la sécurité grâce à quelques slogans ou manifestation se trompent».
S’adressant à Jacques Chirac, Nasrallah lui a demandé de regarder le Liban avec «ses deux yeux». «Une majorité refuse la 1559, a-t-il dit. Pourquoi appuyez-vous une résolution rejetée par la majorité de la population». Aux Américains, le chef du Hezbollah a dit que le Liban «ne peut être morcelé ou vaincu. Il ne changera pas d’identité».
Enfin, il a promis aux Israéliens qu’«ils ne réussiront pas à prendre par des moyens politiques ce qu’ils n’ont pas pu prendre par la guerre», en allusion aux propos des hauts responsables israéliens qui ont espéré signer un accord de paix avec le Liban après le retrait syrien. Un repli qui vient de commencer sérieusement avec de nombreux convois qui ont été aperçus prenant la route de la Bekaa.
On pensait à tors que le retrait syrien décrisperait la situation. Mais au contraire, la crise politique se complique, les deux camps se dressent face à face, l’avenir est plus incertain que jamais.
par Paul Khalifeh
Article publié le 08/03/2005 Dernière mise à jour le 09/03/2005 à 09:29 TU