Social
Le pouvoir d’achat au cœur de la mobilisation
(Photo : AFP)
Le bilan économique de la France pour l’année 2004 s’esquisse, et il montre que l’excédent des entreprises a progressé de 5% l’année dernière. La même année, les salaires n’ont augmenté que de 2,5%. La CGT estime que dans le secteur privé, le pouvoir d’achat a baissé de 5 à 6% en trois ans. Le gouvernement connaît ce décalage entre les comptes des sociétés et les revenus des salariés. Avant même cette journée de mobilisation, le ministre du Travail Jean-Louis Borloo indiquait qu’il appellerait à des négociations salariales dans les différentes branches professionnelles au cours de la réunion de la Commission nationale de la négociation collective où siègent l’Etat, le patronat et les syndicats. Les membres de cette commission vont se rencontrer le 18 mars. Malgré ce pas en avant, pour Jean-Louis Borloo, il n’est pas question d’organiser un «Grenelle» des salaires, trouvaille sociale de mai 1968. Dominique Strauss-Kahn s’est pour sa part empressé de s’engager, au nom de la gauche, à tenir une négociation de ce type en cas de victoire de la gauche à l’élection présidentielle de 2007.
Un contexte politique favorable aux salariés
Cette incursion du gouvernement dans la vie sociale des entreprises et dans leurs comptes marque un virage dans la politique gouvernementale. La campagne électorale pour le référendum d’adoption de la nouvelle Constitution européenne vient de s’ouvrir. Il s’agit d’une échéance cruciale pour Jean-Pierre Raffarin. Il sait que les Français pourraient saisir cette occasion du 29 mai pour montrer leur mécontentement concernant la politique sociale du gouvernement et dire « non » à l’adoption du nouveau traité européen. Même si tous les partis politiques déclarent ne pas vouloir mélanger le débat intérieur et celui sur l’avenir de l’Europe, la consultation politique prévue dans deux mois s’annonce, pour la droite comme pour la gauche comme le moment de mesurer ses forces avant la grande échéance de la présidentielle.
Si le contexte politique est favorable aux salariés et va leur donner prochainement le rôle d’arbitre, en revanche la conjoncture économique ne joue pas en leur faveur. Le chômage est en augmentation, il concerne actuellement 10% des personnes en âge de travailler. Difficile donc, pour ceux qui sont dans la vie active de se trouver en position de force pour obtenir des augmentations de salaire. Nicolas Bouzou, économiste au cabinet d’études Xerfi, expliquait jeudi matin dans la presse économique : «Le problème de la faiblesse du pouvoir d’achat est lié à celui de la persistance d’un chômage de masse».
Les fonctionnaires de plus en plus tentés par le «non»
Face à l’appel gouvernemental à négocier des augmentations de salaire branche par branche, le président de la Confédération générale des PME (CGPME) a expliqué qu’il n’y a «quasiment pas de marge de manœuvre pour augmenter les salaires » dans les petites et moyennes entreprises. «Je ne vois pas où on pourrait les trouver, qu’il s’agisse des salaires, du temps de travail, ou des charges», a expliqué Jean-François Roubaud, le président de cette Confédération.
L’attitude conciliante du gouvernement est contredite par une déclaration du ministre de la Fonction publique. Renaud Dutreil a indiqué qu’il n’avait pas «de nouveau mandat du gouvernement pour négocier» sur les salaires. Les organisations syndicales du secteur public estiment de leur côté à 5% la perte de pouvoir d’achat des fonctionnaires depuis 2000. Elles voudraient que l’Etat montre l’exemple au secteur privé : des augmentations de salaire permettraient aux Français de consommer, ce qui aurait un effet sur la croissance. Sinon, les observateurs estiment que le dialogue pourrait être totalement rompu entre les syndicats et le gouvernement. Le poids social des fonctionnaires est fondamental puisqu’ils représentent 5 millions de personnes travaillant pour l’Etat, les hôpitaux et les collectivités locales. Les instituts de sondage sont attentifs au comportement de ces salariés. Interrogés pour le référendum, ils ont de plus en plus souvent l’intention de voter « non ». C’est ce qu’a révélé l’institut BVA dans son enquête du mois de février. Le discours «tout augmente, et les salaires ne suivent pas» est très fort, indique pour sa part le département politique et opinion de la Sofres. Elle remarque que cette inquiétude est là depuis l’été dernier. A l’occasion de cette journée de protestation, ce souci devenu permanent aura presque jeté les 35 heures aux oubliettes comme s’il s’agissait déjà d’une ancienne utopie.
par Colette Thomas
Article publié le 10/03/2005 Dernière mise à jour le 10/03/2005 à 16:42 TU