Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Philippines

Des chefs historiques d’Abu Sayyaf tués dans une mutinerie

Les forces spéciales de la police sortant du camp Bagong Diwa où des militants d’Abu Sayyaf avaient organisé une mutinerie.(Photo : AFP)
Les forces spéciales de la police sortant du camp Bagong Diwa où des militants d’Abu Sayyaf avaient organisé une mutinerie.
(Photo : AFP)
Une vingtaine de morts. C'est donc le bilan de la mutinerie de détenus du groupe Abu Sayyaf qui aura duré 24 heures dans une prison de haute sécurité de Manille.

Les forces spéciales de la police ont donné l'assaut ce mardi matin et repris le contrôle du centre de détention, qui comptait plus de 450 prisonniers, dont 129 militants de l'organisation radicale islamiste Abu Sayyaf, dont trois dirigeants, qui avaient apparemment pris la tête des mutins, ont été abattus. Trois «commandants», comme ils se faisaient appeler eux-mêmes, emblématiques de cette organisation extrémiste.

Les leaders tués dans l'assaut ont en effet défrayé la chronique terroriste dans l'archipel ces dernières années. Au moins pour deux d'entre eux, à commencer par le « Commandant Robot », de son vrai nom Galib Andang, chef présumé des ravisseurs d'une vingtaine de touristes et d'employés d'une station balnéaire de l'île de Jolo, en l'an 2000. La Libye avait offert ses bons offices pour obtenir, contre rançon, la libération de ces otages, parmi lesquels figuraient des vacanciers français.

L'autre dirigeant connu se faisait appeler « Commandant Kosovo». Il était quant à lui soupçonné d'avoir décapité un ressortissant américain dans une autre affaire d'enlèvement de touristes, en 2001. Accusé aussi d'avoir dirigé l'an dernier l'attaque contre un ferry, dans la baie de Manille. L'incendie du bateau, qui avait coûté la vie à 116 personnes, est à ce jour le pire attentat enregistré aux Philippines.

Attentats, enlèvements, assassinats...

Ces actions aussi brutales que spectaculaires ont rapidement mis Abu Sayyaf sur le devant de la scène, au point d'éclipser les organisations séparatistes musulmanes historiques du sud des Philippines, les fronts Moro national et islamique, MNLF et MILF, qui ont toujours compté bien plus de militants et de combattants et qui ont rejeté d'emblée toute connivence organisationnelle ou idéologique avec le groupe Abu Sayyaf. Ou plutôt les groupes, puisque de l'avis général, le mouvement, qui ne compterait au total guère plus d'un millier d'hommes armés, fonctionne selon le principe de cellules structurées et largement autonomes les unes par rapport aux autres.

Abu Sayyaf a opté dès sa naissance pour la violence systématique, au nom d'un grand Jihad, une guerre sainte qui entendait aller au delà de l'autonomie ou de l'indépendance du sud musulman des Philippines, pour établir la suprématie du Coran sur toute la région. C'était en tout cas l'objectif affiché par son principal fondateur, Abdul Rajak Janjalani. Était, parce que depuis que Janjalani a été tué par la police philippine en décembre 1998, sur son île natale de Basilan, les groupes Abu Sayyaf ont sensiblement changé. Changé de nature, pourrait-on dire, en multipliant les actions de pur banditisme, voire de mercenariat au service de potentats locaux, claniques, voire d'officiers véreux de l'armée philippine.

Pour qui travaille Abu Sayyaf ?

S'agit-il d'une organisation liée à la nébuleuse Al Qaïda d'Oussama Ben Laden, comme l'assurent les États-Unis et le gouvernement philippin ? Pour Washington, il ne fait aucun doute que les groupes Abu Sayyaf ont été créés avec l'argent d'Oussama Ben Laden. Les preuves formelles font toutefois défaut. Ce qu'on sait, c'est que Janjalani, prédicateur charismatique, et ancien cadre du Front Moro de libération nationale, a étudié la religion musulmane à La Mecque, grâce à une bourse du gouvernement saoudien, qu'il a ensuite fréquenté une université islamique de Tripoli, en Libye.

On dit qu'il aurait aussi en Syrie, puis en Afghanistan, où il aurait rejoint, à la fin des années 80, l'alliance islamique du théologien Rasul Abu Sayyaf. Un parcours qui alimente l'hypothèse de liens maintenus avec le futur foyer d'Al Qaïda, après son retour aux Philippines en 1991. Mais ce n’est qu’une hypothèse, à confronter aux liens avérés du mouvement dès sa fondation avec des officiers de l'armée philippine. Là encore, interrogation : s'agit-il de connivence, d'infiltration ou de manipulation.

Une obligation de prudence empêche de répondre franchement à cette question. On sait qu'un officier des services de renseignement de l'armée philippine a participé à la création du groupe Abu Sayyaf. Il s'appelait Edwin Angelès et a été tué en 1999. On sait aussi qu'un général philippin, Guillermo Ruiz, a été mis en cause publiquement, par un sénateur de Manille, comme partie prenante aussi à la création de l'organisation. On sait encore que plusieurs fois, du matériel de l'armée a été tout simplement vendu aux extrémistes d'Abu Sayyaf par des militaires.

Bref, le flou est quasi total sur la nature réelle de ce mouvement, assurément terroriste, comme en ont témoigné le mois dernier encore une série de trois attentats à Manille et sur l'île de Mindanao. La mort de ses trois chefs emprisonnés pourrait pousser Abu Sayyaf à déclencher une nouvelle vague de terreur.


par Alain  Renon

Article publié le 15/03/2005 Dernière mise à jour le 15/03/2005 à 15:40 TU