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Philippines

Frustrations et colère après les typhons

La petite montagne qui surplombe le village n’a pas résisté à ces pluies diluviennes. Elle s’est effondrée avant de déferler dans la vallée. 

		(Photo : Jocelyn Grange)
La petite montagne qui surplombe le village n’a pas résisté à ces pluies diluviennes. Elle s’est effondrée avant de déferler dans la vallée.
(Photo : Jocelyn Grange)
Les typhons et les inondations qui ont récemment frappés les Philippines ont fait près de 1 600 morts et disparus. Dans les régions les plus touchées, les secours tardent à s’organiser tandis que la population dénonce la déforestation.

De notre envoyé spécial aux Philippines

Paltik est un village enterré. « Nous sommes à quatre mètres au dessus du niveau habituel du sol » explique Severino, un habitant de cette petite localité située au bord de l’océan Pacifique, à 200 km au Nord-Est de Manille. Paltik est enfoui sous les décombres de la tempête tropicale Winnie qui s'est abattue le 29 novembre dernier sur l'archipel philippin. « Il pleuvait des gouttes presque aussi grosses que des pierres », se souvient Severino. La petite montagne qui surplombe le village n’a pas résisté à ces pluies diluviennes. Elle s’est effondrée avant de déferler dans la vallée en long serpent de boue. «Elle a tout emporté sur son passage dans un vacarme assourdissant », poursuit l’homme dont la maison, située en contrefort, a échappé à la coulée de boue charriant des arbres et des rochers de plusieurs mètres de diamètres.

Quarante-trois personnes ont péri dans la catastrophe, soit le dixième de la population. Le bilan serait plus lourd si la plupart des villageois n’avaient pas été évacués la veille à Davilan, une localité voisine que la situation géographique rendait moins vulnérable aux glissements de terrain. Mais les réfugiés, installés dans l’école, ont dû regagner leur village dès le lendemain malgré l’arrivée imminente d’un second typhon, Nanmado. Ils vivront ensuite un autre enfer dans une zone rendue plusieurs jours inaccessible aux secours en raison d’un pont effondré. « Des femmes hurlaient en cherchant leurs enfants disparus et des hommes grattaient la terre avec leurs mains dans l’espoir de les retrouver vivants », raconte Severino les yeux embués de larmes.

En cinquante ans, les Philippines ont perdu la moitié de leur forêt. 

		(Photo : Jocelyn Grange)
En cinquante ans, les Philippines ont perdu la moitié de leur forêt.
(Photo : Jocelyn Grange)
Inertie des pouvoirs publics

« La crise sanitaire a été évitée de justesse car la décomposition des corps des disparus rendait possible une épidémie de choléra », ajoute sœur Imelda du collège de l’Immaculée conception, qui coordonne l’action des organisations caritatives chrétiennes dans les régions sinistrées. Les organisations humanitaires, arrivées tardivement, distribuent aujourd’hui les produits de premières nécessités : eau, nourriture, ustensile de cuisine, médicaments, vêtements ou couverture. « Nous répondons aux besoins les plus urgents mais nous n’avons pas vocation à réparer tous les dégâts», poursuit la none qui « regrette » l’inertie des pouvoirs publics qui avaient pourtant promis une aide rapide et massive. Ces promesses non tenues exaspèrent les victimes et attisent les soupçons de corruption : « Nous sommes dans le centre d’évacuation depuis dix jours mais le maire n’est venu qu’une seule fois nous voir » vocifère une villageoise. « Il dit qu’il est très occupé, qu’il doit rencontrer les associations caritatives qui viennent ici (…). Mais ce n’est pas sérieux. Je suis persuadé qu’il ne redistribue qu’une partie de l’aide et qu’il en stock une autre partie quelque part ».

Autre reproche adressé aux autorités : le manque de fermeté à l’égard des grandes compagnies forestières. « Ce sont les vrais coupables de cette tragédie parce qu’elles détruisent la montagne, ici comme partout ailleurs dans le pays » accuse Victorio le chef local des Lumad, un peuple indigène vivant toujours de la pêche et de la chasse. En cinquante ans, les Philippines ont perdu la moitié de leur forêt. Comme en Indonésie, où la déforestation est tout aussi massive, la disparition du couvert végétal laisse les sols à nu. Empêchant l’absorption des pluies tropicales, elle provoque alors sous la pressions des eaux des glissements de terrain et des coulée de boue. Les grands conglomérats forestiers, qui obtiennent de vastes concessions grâce à la corruption des élites politiques, sont donc pointés du doigt.

Mais le problème est plus complexe. De nombreux experts estiment en effet que l'exploitation industrielle des forêts, qu'elle soit légale ou sauvage, masque le poids grandissant des coupes localisées du fait de populations en difficulté. « Les petits paysans locaux coupent eux aussi du bois pour compléter leurs maigres revenus agricoles.», confirme sœur Imelda. La préservation de la forêt permettrait sans doute d’éviter que les calamités naturelles ne se transforment systématiquement en catastrophe humaine. Tant que les autorités ne fourniront pas d’autres moyens de subsistance aux petits paysans philippins qui vivent dans les régions forestières, les populations vivants sur le littoral seront vulnérable aux typhons. Mais les enjeux économiques font barrage à cette logique dans un pays surendetté, que certains économistes annoncent au bord de la banqueroute financière.


par Jocelyn  Grange

Article publié le 24/12/2004 Dernière mise à jour le 24/12/2004 à 10:09 TU