Proche-Orient
Retrait en trompe-l’oeil à Toulkarem
(Photo: AFP)
De notre envoyé spécial à Toulkarem
Un check point à l’entrée ouest de Toulkarem. Un groupe de Palestiniens franchit la barrière sous l’œil insouciant d’un soldat. Ils ploient sous le poids des gros sacs d’oranges qu’ils portent par-dessus dos. Ils ont les mains terreuses et le front fatigué. Pour ces hommes qui ont sué toute la journée dans les vergers israéliens situés juste de l’autre côté du mur de béton qui longe Toulkarem, c’est l’heure du retour. Le minibus qui les conduit en centre ville trépide sur une route défoncée, bordée d’échoppes à l’abandon. Les reliques de l’époque où les Israéliens profitaient du shabbat pour acheter leurs légumes ou réparer leur voiture chez les voisins palestiniens. Quand on leur demande ce qu’ils pensent du redéploiement israélien à Toulkarem, les passagers esquissent une moue de dédain. «Haqa fadi.» «Du vent, des paroles en l’air.»
Demain, au lever du soleil, ils seront de nouveau devant la barrière. Leur check point n’est pas concerné par le transfert de la sécurité de la ville aux mains de la police palestinienne. Comme tous les jours depuis quatre ans, ils piétineront pendant une ou deux heures, parfois une matinée, avant de subir le contrôle des papiers et la fouille. Avec l’angoisse que les soldats décident de les refouler pour des «raisons de sécurité.» La peur aussi qu’ils leur confisquent leur précieux permis de travail en Israël. Des heures d’attente chahutées entre le sentiment d’être un privilégié et le dégoût des humiliations endurées. «Depuis le début de ces négociations de redéploiement, on se fait marcher dessus, estime Mohammed, 45 ans. Même l’officier palestinien qui a conclu l’accord avec l’armée israélienne a dû passer par la fouille.»
«Un jeu pour les médias»
Le repli israélien a commencé par une odeur de poudre. Celle des rafales de kalachnikov lâchées lundi soir par les militants des Brigades des martyrs Al Aqsa qui paradaient en centre ville. «Ce soir, c'est la première nuit que je vais passer chez moi sans craindre que l'armée ne vienne frapper à ma porte», expliquait Housni, l’un des membres de cette milice issue du Fatah, le parti du président Mahmoud Abbas. Mardi matin, devant un peloton de photographes, les commandants de chacun des camps ont solennellement déverrouillé la porte d’Anabta, une barrière métallique jaune qui depuis quatre ans barrait la route de Naplouse. Des soldats palestiniens en armes ont pris position sur les principaux carrefours. «Il va y avoir des agents pour faire la circulation, ce ne sera plus le chaos que nous avons actuellement dans les rues et ils empêcheront les vols de voitures», se réjouissait un marchand du centre ville.
Dans son bureau, Izzedine Sharif, le gouverneur, récitait sa partition sans conviction: «Je pense que c’est un bon premier pas vers la reprise du processus de paix. Nous remplirons nos devoirs et nous espérons que les Israéliens tiendront leurs promesses. Toutes les factions dans la ville sont optimistes.» Un peu plus tard, une grue a démantelé la porte métallique honnie. Après avoir pris une dizaine de clichés, Alaa, un photographe palestinien, a rangé son appareil et lâche avec une grimace: «Tout cela n’est qu’un jeu pour les médias.»
De fait l’ouverture de la porte d’Anabta ne changera rien de fondamental au quotidien des habitants de Toulkarem. La barrière jaune était davantage une mesure vexatoire, une épreuve symbolique qu’un véritable obstacle à vocation sécuritaire. Elle obligeait juste les voyageurs à descendre de taxi, à la contourner à pied et à reprendre un autre taxi cinquante mètres plus loin. Désormais, les gens de Toulkarem pourront relier Naplouse d’une seule traite.
Piètre victoire. Car l’hypothétique levée des deux autres barrages qui verrouillent la ville depuis le début de l’Intifada a été remise à plus tard. Pour se rendre à Qalqiliya, la grande ville, vingt kilomètres plus au sud, les Palestiniens doivent toujours faire la queue au check point de Kafriyat. Pire: pour aller à Joubara, un village voisin de Toulkarem, ils doivent obtenir au préalable un permis car l’endroit, situé du côté israélien du mur de sécurité, est jugé sensible. Quant au check point de Taybeh, qui donne accès à ce mirage économique que constitue Israël dans une ville frappé à 60% par le chômage, il est évidemment toujours en place et personne à Toulkarem n’imagine le voir disparaître un jour. «Il n’y a pas de retrait israélien, maugrée un pharmacien du centre ville. Ce n’est qu’une mascarade. Ils prétendent qu’ils se retirent uniquement pour la galerie. Ils restent tout autour de la ville et au moindre incident, ils rentreront à nouveau.»
Sur la place Nasser, un vendeur de kebab, partage la morosité ambiante. «Je fais partie de ces milliers d’habitants de Toulkarem qui travaillaient en Israël avant l’Intifada et qui ont été refoulés après le début du soulèvement. Comme j’ai plus de trente ans et que je suis marié, j’aurais pu postuler pour un permis de travail. Mais à cause des fermetures à répétition du check-point, mon employeur m’a viré. Depuis quatre ans, je survis avec des petits boulots. J’ai des milliers de shekels de dettes sur les bras. Tant que l’on ne retrouvera pas de travail, il sera vain de parler de paix.»
Mardi soir, sur la route de Naplouse, à cinq cents mètres à l’est de l’emplacement de l’ancienne barrière, un blindé israélien barrait la route et des soldats contrôlaient les voyageurs.
par Benjamin Barthe
Article publié le 23/03/2005 Dernière mise à jour le 23/03/2005 à 11:44 TU