Proche-Orient
Le Hamas entre dans le jeu politique
(Photo: AFP)
Pour un mouvement qui n’a jamais reconnu les accords d’Oslo sur l’autonomie palestinienne, la décision de participer à des élections destinées à renouveler les institutions mises en place par ces même accords n’est certainement pas anodine. En tant que principale force d’opposition au Fatah –le mouvement du président Mahmoud Abbas–, le Hamas, qui jouit d’une popularité grandissante, sait en effet qu’il a tout à gagner. Et c’est au nom de la cause nationale qu’il a justifié ce changement radical de sa politique. «Vu notre volonté de renforcer l’unité et les institutions palestiniennes à ce moment critique de notre histoire et de promouvoir une réforme nationale globale, le Hamas a pris la décision de participer à l’élection du Conseil législatif palestinien l’été prochain», a ainsi souligné un des chefs du mouvement Mohammed Ghazal. Ce dernier a également précisé que le Hamas allait présenter un programme de défense du droit à la lutte armée contre Israël jusqu’à la fin de l’occupation des Territoires palestiniens.
Ce programme risque pourtant de conduire à une épreuve de force avec le Fatah qui domine actuellement la scène politique palestinienne et qui prêche, lui, en faveur d’un renoncement à la violence contre l’Etat hébreu. Quoi qu’il en soit, le président Mahmoud Abbas s’est félicité de la décision du Hamas, jugeant qu’elle constituait «un pas positif qui contribue à la participation de l’ensemble des Palestiniens à la vie politique». Son vice-Premier ministre, Nabil Chaath, a pour sa part estimé que l’initiative du mouvement radical était «encourageante» et qu’elle allait «donner la possibilité au Hamas de s’intégrer dans le jeu démocratique».
La prochaine entrée du mouvement fondé par Cheikh Ahmed Yassine au Conseil législatif palestinien ne sera en effet pas sans conséquence. Elle lui permettra ainsi d’être représenté officiellement au Conseil national palestinien (CNP, parlement en exil où sont représentés tous les Palestiniens de la diaspora) et par conséquent de faire partie du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Le Hamas avait boycotté les élections législatives de 1996 organisées juste après le retour d’exil dans les Territoires palestiniens de l’ancien raïs Yasser Arafat. Il avait refusé de présenter de candidats à la présidentielle organisée cette année-là et à celle du 9 janvier qui avait porté au pouvoir Mahmoud Abbas. Le mouvement radical a toutefois pris part aux scrutins municipaux partiels de décembre et janvier organisés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza qui lui ont permis de mesurer ses forces face au Fatah.
Inquiétudes d’IsraëlAvec l’annonce de sa participations aux législatives de juillet, le Hamas a indéniablement franchi un nouveau pas vers son intégration dans les institutions politiques palestiniennes. Pour Imad al-Falouji, un ancien membre du groupe radical, aujourd’hui député au Conseil législatif palestinien, la décision du Hamas est en effet «le signe d’un changement sérieux dans l’idéologie du mouvement qui montre qu’il est conscient qu’un nouveau chapitre s’ouvre dans la vie politique». Une opinion largement partagé par l’universitaire Bassem al-Zoubeidi qui estime que le Hamas est en train de prouver qu’il est capable de répondre aux changements. «Il a fait une lecture nouvelle et précise de la phase actuelle, loin des slogans dogmatiques», souligne-t-il.
Très populaire dans la bande de Gaza, le mouvement fondé par cheikh Yassine a développé ces dernières années un très vaste réseau d’entraide sociale et d’œuvres de bienfaisance. Il a notamment construit des écoles et des hôpitaux, palliant, à bien des égards, les déficiences de l’Autorité palestinienne, engluée durant les dernières années de pouvoir de Yasser Arafat dans des scandales de corruption et de détournements de fonds. Le Hamas a également été responsable des attentats suicide les plus meurtriers perpétrés contre Israël. Et aujourd’hui, il cherche à se défaire de cette image. «Le Hamas ne veut pas être qualifié d’extrémiste ou de radical, explique Bassem al-Zoubeidi. C’est pourquoi il a décidé de recourir aux élections pour contenir les pressions internationales pesant sur lui». Le mouvement figure en effet sur la liste des organisations terroristes établie par Washington et sur celle de l’Union européenne.
Cette stratégie n’est pas sans inquiéter les autorités israéliennes. «La participation du Hamas aux législatives ne constitue pas une garantie que cette organisation va renoncer au terrorisme. Le Hezbollah est lui aussi intégré au système politique libanais, ce qui ne l'empêche de conserver un bras armé», a notamment estimé un responsable du cabinet Sharon qui a requis l’anonymat. Plus direct, le porte-parole du gouvernement israélien, Avi Pazner, a pour sa part affirmé que la participation du mouvement radical aux institutions palestiniennes pourrait avoir des conséquences sur le processus de paix. Selon lui, le Hamas n'est pas seulement un mouvement politique ou social, c’est aussi un mouvement terroriste qui peut poser des problèmes pour Mahmoud Abbas et pour le futur des pourparlers entre Israël et l'Autorité palestinienne. «Pour le moment, ce que le Hamas veut, ce que le Hamas prêche ouvertement c'est la disparition d'Israël», a rappelé Avi Pazner. «C'est un mouvement extrêmement dangereux, non seulement pour nous, mais aussi pour l'Autorité palestinienne», a-t-il insisté.
par Mounia Daoudi
Article publié le 13/03/2005 Dernière mise à jour le 13/03/2005 à 17:35 TU