Médicaments génériques
Brevets : la fin de l’exception indienne
(Photo: DR)
Une page est tournée. Après une dizaine d’années durant lesquelles l’Inde a profité d’une brèche juridique, l’adoption d’une loi sur la protection des brevets pharmaceutiques met fin à la situation d’exception qui a permis à ce pays de devenir l’un des plus gros producteurs de médicaments génériques dans le monde. La législation indienne, en vigueur jusqu’à 2005, protégeait les procédés de fabrication mais pas les molécules. Cette distinction a permis à des firmes pharmaceutiques locales, comme Cipla, de copier des médicaments ou de réaliser des combinaisons en assemblant de manière différente plusieurs molécules. Des antirétroviraux «trois-en-un» génériques ont ainsi pu être élaborés et vendus sur le marché africain à très bas prix.
La concurrence exercée par les génériques produits en Inde, mais aussi au Brésil, a participé au processus de diminution du coût des traitements dans les pays du Sud. Car les grands laboratoires pharmaceutiques ont été contraints d’aligner leurs tarifs sur ceux des producteurs de génériques, qui ont opéré une percée plus que significative sur les marchés de certains pays. A l’heure actuelle, les fabricants indiens assurent, par exemple, l’approvisionnement de la moitié des 700 000 séropositifs des pays du Sud traités aux antirétroviraux (ARV).
C’est pour cette raison que les associations de défense des malades ont suivi de très près l’élaboration de la loi sur la protection des brevets, qui vient d’être adoptée par le Parlement indien afin de respecter les accords internationaux sur la propriété intellectuelle (Adpic) conclus en 2003 à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Plusieurs d’entre elles, parmi lesquelles Médecins sans frontières (MSF), ont mis en valeur le fait que les députés ont été dans le sens des intérêts des firmes pharmaceutiques internationales détentrices des brevets, au risque de mettre ainsi en péril la fabrication et l’exportation de génériques à des prix abordables dans les prochaines années. Cette préoccupation est d’ailleurs partagée par l’OMS.
Les nouvelles molécules ne pourront plus être copiéesLa loi stipule, en effet, que la copie des molécules mises au point à partir de 2005 est interdite pendant les 20 années durant lesquelles elles sont désormais protégées par les brevets. Concernant les médicaments élaborés entre 1995 à 2005, l’interdiction est modulée dans le sens où les copies sont autorisées à condition de payer des royalties aux laboratoires détenteurs des brevets. Pour ce qui concerne les molécules inventées avant 1995, la copie reste autorisée sans condition supplémentaire.
Cette dernière disposition a été mise en avant par les autorités indiennes pour répondre aux critiques dont elles font l’objet. Le ministre du Commerce, Kamal Nath, a ainsi expliqué que la nouvelle loi ne remettait pas en cause l’approvisionnement des pays du Sud en génériques puisque sur les 195 médicaments enregistrés en Inde, 185 -dont douze des treize antirétroviraux copiés- ont été conçus avant 1995. Ils peuvent donc continuer à être fabriqués et acheminés vers l’Afrique sans restriction.
S’il est vrai que l’accès aux génériques pour les malades des pays du Sud n’est pas remis en cause dans l’immédiat, l’avenir est, en revanche, loin d’être préservé. Et c’est sur ce point que les associations insistent en priorité. En rendant impossible la copie des nouvelles molécules, la loi instaure un système qui va empêcher, les malades africains notamment, de se procurer les nouveaux traitements mis au point par les laboratoires, pendant les vingt prochaines années. L’absence de copie va, selon les ONG, entraîner presque mécaniquement une augmentation des tarifs puisqu’il n’y aura plus de concurrence entre génériques et spécialités sur les marchés. Même si des génériques sont fabriqués ailleurs, l’absence de la production indienne risque incontestablement de changer la donne.
Cette situation pourrait avoir de graves conséquences pour les malades du sida. Le VIH est, en effet, caractérisé par sa capacité à muter et à devenir résistant au traitement. C’est pourquoi, il est indispensable d’offrir aux patients une possibilité de changer de thérapie lorsque celle qu’ils suivent n’est plus efficace. Pour le moment, les réductions tarifaires qui ont permis, ces dernières années, d’élargir l’accès aux ARV dans les pays en développement ne concernent que les premières générations de molécules. Les médicaments plus récents, dits de «deuxième ou troisième ligne», sont disponibles à des prix dix fois plus élevés. Dans ce contexte, la nouvelle législation indienne ne peut que contribuer à limiter la diminution du coût des traitements et donc leur diffusion auprès des malades les plus pauvres.
par Valérie Gas
Article publié le 24/03/2005 Dernière mise à jour le 24/03/2005 à 17:39 TU