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Kirghizistan

Le nouveau pouvoir s’organise

Ancien Premier ministre, Kourmanbek Bakiev ne s'est détaché du pouvoir qu'après la répression sanglante des manifestations en 2002 à Aksy dans la région de Jalal-Abad.(Photo: AFP)
Ancien Premier ministre, Kourmanbek Bakiev ne s'est détaché du pouvoir qu'après la répression sanglante des manifestations en 2002 à Aksy dans la région de Jalal-Abad.
(Photo: AFP)
Après le renversement du président Askar Akaïev, le Parlement a choisi Kourmanbek Bakiev, l’un des dirigeants de l’opposition, pour être président et Premier ministre par intérim, des élections présidentielles étant prévues au mois de juin. Un scrutin auquel Kourmanbek Bakiev a d’ores et déjà prévu de se présenter. La Russie surveille avec beaucoup d’attention le déroulement des événements dans ce pays membre de la Communauté des Etats indépendants et a accordé l’asile au président déchu. Ce dernier affirme ne pas avoir démissionné de ses fonctions et assure que son absence n’est que temporaire.

La capitale kirghize s’est réveillée vendredi dans un climat de tranquillité et seuls les stigmates des manifestations de la veille rappelaient que la population avait réussi à renverser la veille le pouvoir en place. Hormis quelques heurts et altercations, les rassemblements organisées par l’opposition se sont déroulés dans le calme. Cibles symboliques, certains bâtiments officiels ont certes été dévastés par les manifestants réclament la démission Askar Akaïev. Mais il ne s’agit que de dégâts limités. Et ce sont en fait les actes de pillage organisées dans la nuit de jeudi à vendredi qui sont à l’origine d’un bilan plus lourd, un parlementaire kirghiz annonçant que trois personnes avaient été tuées. L’une d’entre elles aurait été abattue par un garde de sécurité d’un supermarché de la capitale, les principaux magasins de la Bichkek ayant vu déferler des bandes de pilleurs. Pour tenter de mettre un terme à ces débordements, les nouveaux dirigeants ont choisi vendredi de décréter un couvre-feu.

Les forces de l’opposition ont mis la nuit à profit pour dessiner une stratégie et arrêter un calendrier électoral. Après l’annulation jeudi par la Cour suprême kirghize des résultats des dernières élections législatives, il était urgent d’annoncer la tenue d’un nouveau scrutin. Des élections présidentielles auront ainsi lieu au mois de juin. Et Kourmanbek Bakiev, l’un des principaux leaders de l’opposition, a été désigné par le Parlement pour assumer d’ici-là l’intérim au poste de président et de Premier ministre. Cet homme âgé de 55 ans a déjà occupé la fonction de Premier ministre entre décembre 2000 et mai 2002, entrant ensuite en dissidence et prenant la tête du Mouvement populaire du Kirghizstan, une formation de centre-gauche dont les couleurs, le mauve et le rose, ont été arborées jeudi par plusieurs milliers de personnes dans les rues de Bichkek. Après sa nomination, Kourmanbek Bakiev a annoncé qu’il se consacrait à la formation d’une équipe gouvernementale.

A l’instar de Kourmanbek Bakiev, le nouveau pouvoir compte d’autres personnalités qui ont, par le passé, collaboré avec le président Askar Akaïev. C’est le cas de Felix Koulov, qui fut notamment vice-président du Kirghizstan avant de tomber en disgrâce à la fin des années 90. Il avait commis l’affront de se présenter contre Akaïev lors des élections présidentielles de 2000 et avait été condamné quelques mois plus tard à une peine de dix ans de prison pour abus de pouvoir. Cet ancien général du KGB soviétique a retrouvé jeudi sa liberté et a ainsi pu activement prendre part au renversement du pouvoir en place. Et il a été désigné pour coiffer l’armée, la police et les services spéciaux. Et parmi les figures de proue de l’opposition se trouve également une ancienne ministre des Affaires étrangères, Roza Otounbaïeva, qui a accepté de reprendre ce portefeuille jusqu’aux prochaines élections.

La Russie et la Chine inquiètes

L’une des priorités de Roza Otounbaïeva va être de trouver un terrain d’entente avec les autorités russes qui ont condamné le renversement du président Akaïev, au pouvoir depuis quinze ans. «Il est regrettable que dans un pays de l’ex-URSS le conflit ait été réglé de manière illégitime» a estimé vendredi le président russe Vladimir Poutine, en assurant que son pays était prêt à accueillir le président déchu qui se serait réfugié au Kazakhstan. Ce dernier a adressé une lettre vendredi à l’agence nationale kirghize, reprise par les médias russes, dans laquelle il dénonce un «coup d’Etat» et dément sa démission, en affirmant que son absence du pays n'est que provisoire. Mise devant le fait accompli, la Russie n’a cependant pas d’autre choix que celui de s’adapter à la nouvelle donne. Vladimir Poutine a d’ailleurs manifesté son espoir que les relations entre les deux pays se développent dans l’avenir de «façon positive». Un souhait partagé par M. Bakiev qui a assuré que le Kirghizstan respecterait ses engagements internationaux antérieurs, en maintenant notamment sur son territoire les bases militaires russes et américaines implantées non loin de la capitale. «Les relations avec la Russie seront bonnes», a affirmé le nouveau président par intérim.

A la différence des révolutions qui se sont déroulées ces derniers mois en Géorgie et en Ukraine, le mouvement de protestation organisé au Kirghizstan n’a pas été guidé par la volonté de se rapprocher du monde occidental mais alimenté par l'insatisfaction grandissante de la population contrainte de vivre dans des conditions très difficiles. «L’opposition n’est absolument pas antirusse», explique dans une interview à Libération Edil Baïssolov, directeur d’une coalition d’ONG basées au Kirghizstan et financées par les Etats-Unis. Pour lui, les leaders de cette fronde politique sont des «pro-occidentaux au sens où ce sont des laïcs et des modernistes qui vont tenter de développer une société plus démocratique. Mais nous ne cherchons pas à adhérer à l’Otan. Nous voulons rester un allié fidèle de la Russie en matière de sécurité».

Moscou a justement décidé de réunir vendredi les membres du Traité de sécurité collective, auquel appartient le Kirghizstan, pour analyser les conséquences du renversement du président Akaïev. Une autre grande puissance, la Chine, suit également avec beaucoup d’attention le déroulement des événements au Kirghizstan, en renforçant notamment les contrôles frontaliers. Elle a déclaré vendredi qu’elle espérait un retour rapide de la stabilité et de l’ordre public. Les autorités chinoises, qui étaient en bons termes avec Askar Askaïev, redoute en fait les conséquences de sa chute. D’une part parce que Pékin a développé des liens économiques forts avec ce pays qui possède un intérêt stratégique par sa situation géographique. Et d’autre part parce la Chine a pu compter jusqu’à présent sur l’aide du pouvoir kirghiz pour étouffer les revendications séparatistes de la communauté ouïgour du Xinjiang, une province chinoise voisine du Kirghizstan.


par Olivier  Bras

Article publié le 25/03/2005 Dernière mise à jour le 26/03/2005 à 18:45 TU

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