Liban
Terreur, politique et diplomatie
(Photo: AFP)
De notre correspondant à Beyrouth
Le Liban s'enfonce tous les jours un peu plus dans la crise, politique à l'origine, mais qui commence à prendre une tournure violente. L'acceptation par les autorités de coopérer sans condition avec les Nations unies pour faire la lumière sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri aurait pu constituer une avancée susceptible d'apaiser le débat entre l'opposition et le pouvoir. Mais un attentat survenu quelques heures plus tard a ravivé la tension et relancé de plus belle la virulente polémique entre les deux camps.
Ce troisième attentat en huit jours a frappé, comme les précédents, un quartier à majorité chrétienne. Une charge estimée à 50 kilogrammes d'explosif a sauté vers 22 heures locales dans une zone industrielle à Bauchrié, dans l'Est de Beyrouth. L'explosion a fait au moins six blessés et provoqué des dégâts considérables dans six immeubles qui ont été ravagés par les flammes. Comme les attentats des 19 et 23 mars, l'attaque de ce samedi n'a pas été revendiquée et a pris pour cible une région importante sur le plan économique.
Alors que l'incendie faisait encore rage, des responsables de l'opposition ont défilés sur les lieux pour dénoncer «cet acte criminel», accusant les services de sécurité libanais d'en être responsables, voire d'être directement impliqués dans la planification et l'exécution de l'attentat. Des proches du pouvoir ont, quant à eux, estimé que ces attentats visaient à accélérer l'internationalisation de la crise libanaise en provoquant une intervention étrangère.
Crise de confianceLa crise de confiance entre le pouvoir pro-syrien et l'opposition soutenue par les Etats-Unis et la France est sur le point d'atteindre un point de non retour. Le fait que le président Emile Lahoud se soit engagé, quelques heures plus tôt, à coopérer avec l'Onu, «quelle que soit la formule adoptée par l'organisation internationale» pour faire la vérité sur la mort de Rafic Hariri, n'a pas contribué à faire baisser la tension. Pourtant, M. Lahoud a répondu à une des principales revendications de l'opposition en prônant «les sanctions les plus lourdes» à l'encontre de tous ceux qui, aux termes des résultats de l'enquête, auront trempé par «négligence ou par erreur» dans ce qu'il a qualifié de «complot». «Les mesures engloberont tous ceux qui auront fait preuve de négligence dans leurs devoirs ou commis des erreurs qui ont porté tort à la réputation du Liban et au rôle de ses institutions et de ses services de sécurité», précise un texte de la présidence de la République.
Dans le même temps, le ministre des Affaires étrangères Mahmoud Hammoud convoquait les ambassadeurs de trois des cinq pays membres du Conseil de sécurité (Russie, Chine, Grande-Bretagne) et les informait que Beyrouth accepterait une commission d'enquête de l'Onu si le Conseil de sécurité prenait une décision en ce sens. Ce geste de bonne volonté des autorités intervient deux jours après la publication du rapport de Peter Fitzgerald, dépêché à Beyrouth par Kofi Annan pour une mission d'information sur l'assassinat de Rafic Hariri. Ce rapport, qualifié de «dévastateur» pour les services de sécurité libanais, fait état de menaces du président syrien Bachar al-Assad contre Rafic Hariri et l'un des principaux chefs de l'opposition Walid Joumblatt. Mais cette flexibilité de la part du pouvoir libanais n'a pas satisfait l'opposition qui a accentué sa pression. M. Joumblatt a ainsi appelé les chefs des services de sécurité à démissionner afin de permettre à une éventuelle commission d'enquête internationale de mener à bien sa mission. «Une commission d'enquête ne pourra pas travailler objectivement si les chefs des services de sécurité conservent leurs postes. Qu'ils s'en aillent, l'épée de Damoclès pend au-dessus de leur tête», a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse tenue dans son fief montagneux de Moukhtara, qu'il quitte rarement de crainte d'être victime d'un attentat.
Un avenir plus incertain que jamaisLe commentaire de M. Joumblatt rejoint les observations de Peter Fitzgerald qui estime «douteux» qu'une commission indépendante puisse mener à bien sa mission de manière satisfaisante, «tant que l'actuelle hiérarchie des services de sécurité libanais restera en place». Même son de cloche chez les députés du groupe parlementaire de Rafic Hariri qui ont appelé l'Onu «à former rapidement la commission d'enquête qui devra jouir des plus larges compétences judiciaires pour faire la lumière sur l'assassinat et juger les responsables et les commanditaires».
A cette situation déjà très complexe s'ajoutent les difficultés rencontrées dans la formation d'un nouveau gouvernement et les incertitudes entourant le sort des élections législatives prévues en mai. Démissionnaire depuis le 28 février dernier, le Premier ministre Omar Karamé, reconduit dans ses fonctions, n'arrive toujours pas à former une nouvelle équipe. Il se heurte au refus de l'opposition de participer à un cabinet d'union nationale tant que ses revendications concernant le limogeage des chefs des services de sécurité ne sont pas satisfaites. Et le retard dans la formation du gouvernement risque de compromettre la tenue des élections. L'opposition, elle, accuse le pouvoir de laisser pourrir la situation pour gagner du temps dans l'espoir que les délais constitutionnels pour l'organisation du scrutin seront dépassés. Vague de terreur ambulante, crise politique inextricable, intervention étrangère de plus en plus marquée, l'avenir du Liban est plus incertain que jamais.
par Paul Khalifeh
Article publié le 27/03/2005 Dernière mise à jour le 28/03/2005 à 15:37 TU