Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Indonésie

La loi islamique se fissure à Aceh

A Banda Aceh, le 20 février 2005. Une femme voilée côtoie une femme non voilée.(Photo: AFP)
A Banda Aceh, le 20 février 2005. Une femme voilée côtoie une femme non voilée.
(Photo: AFP)
Aceh est la seule province d’Indonésie où la loi islamique est en vigueur. Mais trois mois après le tsunami, les Achénais profitent de la présence des personnels d'organisations humanitaires internationales pour la remettre en question.
De notre envoyé spécial à Aceh

La charia est arrivée à Aceh sur un malentendu. En 2001, trois ans après la chute de la dictature Suharto, Djakarta décide de «reconquérir le cœur des Achénais» que les dérapages répressifs de l’armée ont poussé dans les bras de la rébellion séparatiste. La province fut la porte d’entrée de l’islam dans l’archipel au XVe siècle, elle en demeure la plus islamisée, la population le revendique elle-même pour mieux se singulariser. Le gouvernement lui octroie donc la loi islamique en gage de sa bonne volonté. Mais il le fait sans consultation et avec beaucoup d’a priori.

A 2 000 km plus au sud, sur l’île de Java, le cœur politique de l’Indonésie, où amour libre, alcool et islam ont toujours fait bon ménage, la ferveur islamique achénaise est souvent perçue comme un fanatisme religieux. Mais si les Achénais sont très pratiquants, ils n’en sont pas pour autant des radicaux. «Ils n’ont jamais réclamé la charia» confirme Andrée Feuillard, spécialiste de l’islam indonésien au CNRS. «Ils étaient même plutôt contre car c’est une révolution dans cette région traditionaliste (...) mais en bons musulmans, ils ne pouvaient pas la refuser ».

Pas de châtiments corporels

Le piège se referme et la loi est instaurée en 2003. L’année suivante, deux cent quarante trois agents de l’ordre islamique sont déployés dans la province. «Nous faisons d’abord de la socialisation, nous informons les gens sur le contenu de la loi islamique et la manière de la respecter» explique Hamid Musdaruddin, le chef de la police de la charia à Banda Aceh, la capitale provinciale. «Nous agissons directement sur le terrain, par exemple, si une femme marche dans la rue sans porter le voile, nous l’arrêtons et nous la sermonnons» poursuit l’homme dont les troupes traquent aussi l’adultère «Nous contrôlons les gens qui dorment ensemble à l’hôtel pour vérifier s’ils sont bien mariés».

Une fois la règle établie se pose alors le problème de la sanction. Les autorités religieuses veulent éviter les châtiments corporels. La lapidation, le fouet ou les coups de bâton sont inconcevables dans cette région où l’islam se décline d’abord sur le mode de la tolérance. Embarrassé, le Conseil des oulémas local trouve finalement la parade: les réfractaires au voile sont punies d’un simple blâme. Quant aux récidivistes des amours extra-conjugaux, ils sont condamnés à un acte de repentance publique «Nous les emmenons dans le village où la faute à été commise» reprend Hamid Musdaruddin «Ils doivent se repentir devant la communauté en avouant leur faute puis demander pardon en lisant une lettre dans laquelle ils s’engagent à ne plus recommencer».

Les filles se rebellent

La loi islamique n’a pas été suspendue depuis le déferlement du tsunami qui a fait 240 000 morts voilà trois mois dans la province. Mais beaucoup de jeunes filles ont enlevé leur voile et troqué leurs habits amples contres des jeans et des tee-shirt moulants. «C’est une conséquence du tsunami, leurs maisons sont détruites et elles ont perdu leur vêtements», explique Azman Ismaïl, le grand imam de la mosquée Beitulrahman, la plus haute autorité religieuse de la province. L’argument n’est pas convaincant. Le grand imam, dont la douceur du regard exprime tout le contraire du fanatisme, le sait. Il sourit puis exprime le fond de sa pensée «On ne peut pas obliger une fille à porter le voile islamique, c’est une décision qui doit venir du cœur».

Les personnels humanitaires internationaux contribuent à ce relâchement des mœurs. «Les adolescentes sont t influencées par toutes les étrangères qu'elles voient sans voile» confirme Santi, 22 ans, une étudiante qui se promène tête nue. Cette présence ouvre un espace de liberté dans laquelle la population s’engouffre pour exprimer le rejet d’un système auquel elle n’a jamais aspiré et qui menace, par ses aspects répressifs, sa profonde culture du consensus social. L’incident survenu récemment dans la ville de Lokseumawe, la capitale économique, en témoigne. Deux jeunes filles, cheveux au vent, sont interpellées en pleine rue par la police islamique. Les deux adolescentes refusent le voile qu’on leur tend en expliquant que c’est leur liberté de le porter ou non. Le ton monte, on se bouscule, les passants protestent et protègent les deux gamines. Les débats dérapent et les coups pleuvent. Les deux policiers sont conduits à l’hôpital. Vivants, mais le visage tuméfié.


par Jocelyn  Grange

Article publié le 27/03/2005 Dernière mise à jour le 27/03/2005 à 10:51 TU