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Côte d'Ivoire

Paris donne un mois à Thabo Mbéki pour «faire une percée»

Pour remplacer les troupes de l'opération française Licorne : des soldats sud-africains ?(Photo : AFP)
Pour remplacer les troupes de l'opération française Licorne : des soldats sud-africains ?
(Photo : AFP)
Le 4 avril échoit le mandat confié par l’Onu aux «forces impartiales» composées de 6 000 casques bleus et des 4 000 soldats français de l’opération Licorne. Remise en question par les partisans du président Gbagbo, mais aussi par les observateurs extérieurs qui relèvent les incidents graves de fin 2004, la présence militaire française est devenu un enjeu pour toutes les parties, France comprise. Toutefois, alors que l’échéance présidentielle d’octobre se rapproche et que le désarmement s’engluent dans les polémiques politiques, une vigilance internationale musclée s’impose plus que jamais. Le médiateur sud-africain Thabo Mbéki devrait répondre de manière concrète à ces questions, à Pretoria où il reçoit le 3 avril l’ensemble des parties ivoiriennes. De son côté, Paris demande que le mandat de l’opération Licorne soit renouvelé…pour un mois au moins, le temps de prendre une décision.

«Compte tenu de la perspective de la réunion qui doit se tenir à Pretoria le 3 avril, nous estimons souhaitable qu'il y ait une prolongation technique du mandat des forces impartiales, prolongation qui pourrait être d'un mois», indique le porte-parole de la diplomatie française, après son ambassadeur à l’Onu, Jean-Marc de la Sablière, le 28 mars. Ce faisant, Paris lance en quelque sorte un ultimatum à Thabo Mbéki. Devant le Conseil de sécurité, Jean-Marc de la Sablière a relevé que «le temps est compté» et noté qu’il «faut malheureusement constater qu'en dépit des efforts remarquables du président Mbeki, la Côte d'Ivoire est encore très loin d'avoir retrouvé le chemin de la réconciliation». Le diplomate français «compte sur le président Mbeki pour réaliser une percée» le 3 avril. Pour ce faire, dit-il, «le Conseil de sécurité sera à ses côtés». A défaut, dans un mois, le Conseil de sécurité pourrait changer son fusil d‘épaule. Dans quel sens ? Sur ce point, les avis divergent.

Impatience internationale

«Il est important pour les deux parties qu'elles se rendent compte que la communauté internationale est sur le point de perdre patience face à ces tergiversations injustifiées, et aux promesses non tenues», déclare par exemple l'ambassadeur de l’Algérie à l'Onu, Abdallah Baali. C’est aussi l’avis des chercheurs d’International Crisis Group lorsqu’ils écrivent dans leur rapport du 24 mars intitulé «Le pire est peut-être à venir» que «les protagonistes de la crise ivoirienne savent plaire aux diplomates en leur donnant l'impression de coopérer dans le cadre d'un processus de paix. Mais ce processus s'est jusqu'à présent réduit à effectuer deux pas en arrière pour chaque pas en avant». Pessimiste aussi l'émissaire spécial de l'Onu en Côte d'Ivoire, Alan Doss, qui a présenté le 28 mars un rapport dans lequel il évoque un climat «volatile» qui met les «forces impartiales» à rude épreuve et pèse sur la «faisabilité de l’élection présidentielle» toujours programmée en octobre prochain.

Pour sa part, le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan «prie à nouveau le Conseil d’approuver les effectifs supplémentaires [1 000 hommes] de la force militaire, de la police civile et du personnel civil qu’il a proposés dans son troisième rapport du l’Onuci et recommande que le mandat de l’Onuci soit prorogé pour une période de 12 mois», le 4 avril. Son représentant, Alan Doss estime que «la feuille de route élaborée par la médiation de l’Union africaine conduite par le président Thabo Mbéki est restée largement inachevée». Mais il ne reprend pas plus que son patron l’idée d’une prolongation d’un mois, le temps d’aviser.

Alan Doss note aussi que «le processus de paix continue de subir les contrecoups des incidents de novembre 2004» qui ont opposé Paris et Abidjan. Il voit aussi, comme une preuve que la crise s’inscrit dans la durée, sinon dans la sécession, «la création de cinq nouvelles entités spatiales confiées à de nouveaux chefs de guerre» des Forces nouvelles. D’autant que celles-ci ont également annoncé «la création d’une police et de douanes et l’ouverture effective d’une banque de dépôt à Bouaké». Bref, Alan Doss considère la reprise de la guerre comme un «danger constant». Tout au contraire, l’ambassadeur sud-africain à l'Onu assure que les protagonistes de la crise ivoirienne sont «globalement d'accord sur beaucoup de points» et promet des avancées à Pretoria le 3 avril.

Un 3 avril décisif

A Pretoria, selon la diplomatie sud-africaine, «les discussions rassembleront entre autres, le président Laurent Gbagbo, [l’opposant] Alassane Ouattara et [le chef des Forces nouvelles] Guillaume Soro».Le président déchu Henri Konan-Bédié aussi sera du tour de table. Reste à savoir s’il s’agira d’un tapis vert commun ou d’entretiens séparés. Mais surtout, si Thabo Mbéki va tirer de sa manche une quelconque proposition de nature à lancer une dynamique de désarmement. Ce dernier constitue en effet un point d’achoppement crucial. Et pas seulement pour le processus électoral. Les effets dévastateurs de la circulation des armes se traduisent aussi par un banditisme grandissant, jusque dans de grandes cités historiques, comme Grand-Bassam, sur la côte, à quelques dizaines de kilomètres d’Abidjan.

Réuni à Nyamey depuis le 30 mars - la capitale nigérienne où Laurent Gbagbo, qui enterrait son père, n’a pas pu se rendre -, le sommet de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) va chiffrer les pertes dues à la descente aux enfers de son principal contributeur, la Côte d’Ivoire (40% du PIB global de la zone). L’Onu aussi fait ses comptes. Sans parler du coût de la mission des casques bleus et des frais occasionnés aux contribuables français par l’opération Licorne, Alan Doss souligne que les bailleurs de fonds ont répondu à hauteur de 5% seulement à l’appel de fonds de 39 millions de dollars lancé pour subvenir aux besoins vitaux de 3,9 millions d’Ivoiriens.

Pour sa part, ICG «demande au Secrétaire général de l'ONU de planifier avec le ministère français de la Défense, le retrait graduel des troupes françaises du dispositif Licorne et leur remplacement simultané et impératif par des forces de maintien de la paix qualifiées, comprenant des troupes sud-africaines et, si possible, des troupes de pays membres de l'Union européenne, disposant de capacités de réaction rapide». Les troupes françaises font en effet office actuellement de force d’intervention rapide en appui à l’Onuci. Concernant le calendrier électoral, ICG propose qu’il soit étendu à 18 mois mais en même temps doublé de garanties d’exécution. Mais au total, plus que jamais, pour les partenaires internationaux de la Côte d’Ivoire, le règlement de la crise doit être confiné dans le cadre de l’Union africaine. Pour autant, Thabo Mbéki n’en est pas moins pressé de toutes parts pour trouver une solution miracle.

Jusqu’à présent, le médiateur sud-africain n’a pas cru utile de publier la liste noire des Ivoiriens désignés nommément par l’Onu comme fauteurs de guerre ou d’exactions. Le cas échéant, on peut gager d’avance que des soldats sud-africains déployés en Côte d’Ivoire seraient eux-aussi accusés de partialité par l’un ou l’autre camp. Nommé en novembre par l’Union africaine, Thabo Mbéki sait que sa prestation du 3 avril déterminera la décision onusienne du 4 avril. Sa marge de manœuvre est étroite.

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par Monique  Mas

Article publié le 30/03/2005 Dernière mise à jour le 30/03/2005 à 18:14 TU