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Kirghizstan

La course au pouvoir est lancée

Exilé en Russie, le président déchu Askar Akaïev (au centre) a accepté dimanche de signer sa démission. (Photo : AFP)
Exilé en Russie, le président déchu Askar Akaïev (au centre) a accepté dimanche de signer sa démission.
(Photo : AFP)
La voie constitutionnelle est dégagée après la démission officielle du président Askar Akaïev, contraint à l’exil le 24 mars, et les nouveaux dirigeants du pays peuvent désormais activement préparer le scrutin présidentiel prévu le 26 juin. Deux personnalités politiques de poids ont déjà annoncé leur candidature, Felix Koulov et Kourmanbek Bakiev, président intérimaire du pays.

Le président Askar Akaïev n’aura réussi à conserver ses fonctions de président qu’une dizaine de jours supplémentaires. Chassé du pouvoir et contraint à l’exil le 24 mars, il ne cessait de répéter depuis qu’il restait le chef de l’Etat kirghiz et assurait pouvoir prochainement revenir dans son pays. Si l’opposition ne croyait guère dans ce scénario, elle se trouvait confrontée à un épineux problème constitutionnel puisque cet homme restait officiellement le président élu du Kirghizstan. Et comme elle pouvait difficilement le contraindre à signer son acte de démission, elle envisageait de lancer une procédure de destitution à son encontre. Une situation qui s’est finalement débloquée lors d’une rencontre dimanche à Moscou entre une délégation de parlementaires venus du Kirghizstan et Askar Akaïev. Après quelques heures de discussions, un communiqué laconique indiquait que le président kirghiz avait accepté de se démettre de ses fonctions «de façon anticipée». En échange, un protocole signé par les deux parties prévoit notamment des garanties pour la sécurité du président déchu.

Cette conciliation dégage la voie de la transition politique initiée avec le départ d’Askar Akaïev. Si la date du 26 juin, choisie par le nouveau pouvoir pour organiser des élections présidentielles, doit encore être ratifiée par le Parlement kirghiz, le pays se prépare à être dirigé, pour la première fois depuis son indépendance, par un autre homme qu’Askar Akaïev. Cet homme élu en 1991 avait donné corps dans les années qui ont suivi à «l’exception kirghize». «Il était alors le seul président, parmi les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, qui n’était pas le premier secrétaire du Parti communiste local : il était le président de l’Académie des sciences et devait commencer son règne en se montrant beaucoup plus libéral que ses collègues de la région», expliqué Olivier Roy, directeur de recherches au CNRS et spécialiste de l’Asie centrale, dans un entretien accordé à RFI et l’Express. «Mais dès 1996, le Kirghizstan a connu la même dérive autoritaire que les autres pays d’Asie centrale», ajoute Olivier Roy.

L’une des victimes de ce durcissement politique a été le général Felix Koulov, qui a occupé les fonctions de ministre de l’Intérieur et de vice-président avant de passer dans les rangs de l’opposition à la fin des années 90. Et alors qu’il comptait se présenter face à Askar Akaïev lors de l’élection présidentielle de 2000, il avait été arrêté et jugé pour «abus de pouvoir» et détournement de fonds. Condamné à dix de prison, il a été libéré par les manifestants le 24 mars et est, depuis, l’un des piliers du pouvoir intérimaire. Il s’est chargé au cours des premiers jours qui ont suivi la chute d’Akaïev de coordonner le travail de toutes les forces de sécurité, de manière à rétablir l’ordre dans le pays et mettre fin aux pillages. Des fonctions qu’il a abandonnées la semaine dernière, se lançant dans la foulée dans la course électorale. «Je serai candidat à la présidentielle si la Cour suprême me réhabilite», a-t-il déclaré vendredi.

Des structures claniques très fortes

Son rival annoncé pour ce scrutin est Kourmanbek Bakiev, Premier ministre et président du pays par intérim depuis une dizaine de jours. Cet ancien Premier ministre a annoncé dès le lendemain de la chute d’Askar Akaïev qu’il se présenterait aux élections présidentielles et semble même être déjà entré en campagne. Il a expliqué la semaine dernière s’être fixé comme «tâche principale» la lutte contre la corruption. «Il faut que cesse dans ce pays la pratique d’achat-vente des postes de responsabilités, la pratique des nominations en fonction de l’appartenance territoriale et de l’argent», a expliqué Kourmanbek Bakiev.

Dans un pays où domine un système clanique très fort, la mission s’annonce difficile. Et ce d’autant que Bakiev ne donne pas l’impression de vouloir rompre avec l’ancien pouvoir. Il a ainsi accepté de reconnaître le Parlement issu des élections législatives organisées à la fin du mois de février, un scrutin extrêmement controversé à l’origine du large mouvement de protestation qui a secoué le pays. Et Bakiev promet simplement de tirer les leçons de ces élections pour les présidentielles, en insistant sur la nécessité d’organiser «une élection juste, transparente et honnête non en théorie, mais dans la pratique».

Les réformes politiques prônées par l’Union européenne qui encourage le Kirghizstan à s’engager dans la «voie démocratiques» risquent fort de se heurter à une société aux structures traditionnelles très fortes. «Derrière les clivages strictement politiques ou idéologiques, on trouve, très souvent, des clans qui sont surtout géographiques. Comme dans tous les pays montagneux, on a un cloisonnement des différentes vallées et il y a une culture politique du Sud différente de celle du Nord. Ce sont des Kirghiz de part et d’autre, mais le Sud est plus conservateur, plus traditionnel, et l’empreinte de l’islam y est plus forte», explique Olivier Roy. Et le défi de Bakiev, qui jouit d’une plus grande popularité dans le sud, est de réussir à imposer sa légitimité à l’ensemble du pays en vue des prochaines présidentielles.

par Olivier  Bras

Article publié le 04/04/2005 Dernière mise à jour le 04/04/2005 à 17:19 TU

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Olivier Roy

Directeur de recherches au CNRS, spécialiste de l’Asie centrale

«L’action d’ONG, des Etats-Unis et de l’OSCE a créé un climat d’encouragement pour la démocratisation.»

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