Politique française
Chirac à la TV : polémique
(Photo: AFP)
«Les questions ne sont pas dictées et les jeunes diront ce qu’ils voudront». A TF1, les organisateurs de ce débat inédit se défendent d’un quelconque trucage. La polémique sur les modalités de cette émission politique d’un nouveau genre étant en train d’enfler, l’institut de sondages TNS Sofres explique comment ont été sélectionnés les jeunes de 18 à 30 ans qui vont participer à l’émission pour interroger le chef de l’Etat français. Ces 80 personnes ont été choisies en fonction de critères et de données fournis par l’INSEE. «Il y aura autant de femmes que d’hommes, des représentants de toutes les classes d’âge et de toutes situations professionnelles». Brice Teinturier, représentant de cet institut de sondages précise encore que l’échantillon de personnes qui seront présentes sur le plateau se répartit à égalité entre les partisans du « oui », les partisans du « non », plus les hésitants.
«Eviter toute confusion entre information et divertissement»
Etant donné l’ampleur des réactions avant même la diffusion de l’émission, TNS Sofres s’est également expliqué sur l’exclusion de deux jeunes initialement sélectionnés. Le Collectif national pour un non de gauche/Appel des 200 avait critiqué leur retrait (l’un étant membre de l’association Attac, l’autre militant à la LCR), et parlé de préférences partisanes. L’institut de sondage s’est donc justifié sur les choix des jeunes qui se retrouveront face au chef de l’Etat : « Il y a eu au départ de 300 à 400 jeunes recrutés. A l’arrivée, il y a forcément des frustrés ou des déçus qui s’insurgent parce qu’on les a écartés ».
L’émission sera dirigée par Patrick Poivre d’Arvor, qui a une grande pratique des interviews présidentielles. Mais l’autre nouveauté de l’émission intitulée : « Référendum : en direct avec le président », c’est la présence, aux côtés du journaliste vedette de la chaîne privée, de trois producteurs-animateurs de télévision, plus habitués aux talk-shows qu’aux entretiens politiques. Les sociétés de journalistes de France 2, France 3 et M 6 ont dénoncé ce recours à des intervieweurs dont le profil correspond plus à la télévision spectacle qu’au traitement de l’information. Dans un communiqué, ces trois sociétés soulignent notamment que «dans la convention qui lie TF1 au CSA, il est précisé que la société veille à éviter toute confusion entre information et divertissement, et que pour ses programmes d’information, cette société fait appel à des journalistes professionnels ».
«Le triomphe du marketing politique»
Ce débat intervient alors que les hommes politiques français choisissent de participer de plus en plus souvent à des émissions ludiques plutôt qu’à des débats politiques. En tout cas, les sociétés de journalistes voient, dans ce type de nouvelle émission, « le triomphe du marketing politique et de l’information spectacle au mépris du journalisme ».
Claude Chirac, responsable de l’image politique de son père, explique pour sa part avoir préféré cette formule à une intervention plus classique d’une trentaine de minutes diffusée sous forme d’interview à la fin du journal télévisé. Il faut dire qu’en général, ce type d’intervention est toujours très conventionnelle et banale.
A l’Elysée, on refuse la polémique et on explique : le président souhaite « répondre directement, et sans intermédiaire, aux questions que se posent les Français » sur l’Europe. Autre précision, Jacques Chirac ne tiendra pas de meeting politique pour convaincre les Français de voter «oui» le 29 mai ; et il ne débattra avec aucun responsable politique, indique également l’entourage du président français.
Les temps de parole
Autre polémique autour de cette émission de deux heures, le temps de parole du président français ne sera pas comptabilisé dans les interventions télévisées de la majorité gouvernementale tout au long de cette campagne électorale. Dominique Baudis, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, a expliqué que « traditionnellement le CSA ne comptabilise pas le temps de parole du président de la République ». François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, a pour sa part jugé qu’il serait «normal» que l’intervention de Jacques Chirac soit prise en compte comme ce sera le cas pour les autres hommes politiques.
Le socialiste Henri Emmanuelli a proposé ses services, il est prêt à débattre de la future Constitution européenne avec Jacques Chirac. D’une façon plus générale, à quarante-huit heures de l’émission, ce sont les partisans du « non » qui sont les plus critiques. Le député socialiste Arnaud Montebourg, partisan du « non », accuse Jacques Chirac de ne pas vouloir confronter ses choix européens avec des « contradicteurs politiques à sa taille ». Et jeudi soir, au moment où le président plaidera pour le «oui», le Parti communiste organise un grand meeting pour le «non». Le PC a invité les partis politiques et syndicats qui sont sur la même ligne. A six semaines du référendum, le rejet de la Constitution semble toujours aussi installé dans l’opinion. Les dernières enquêtes continuent de pronostiquer le rejet du nouveau traité. On saura bientôt si la mise en scène de jeudi a fait évoluer les tendances. On saura tout de suite si la télévision a inventé un nouveau genre de débat politique.
par Colette Thomas
Article publié le 12/04/2005 Dernière mise à jour le 12/04/2005 à 18:56 TU