Liban
Consensus autour de Najib Mikati
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Beyrouth
Richissime homme d’affaires ayant fait fortune dans les télécommunications, Najib Mikati, 49 ans, est un ami personnel du président syrien Bachar el-Assad. Pourtant, c’est grâce au soutien de l’opposition anti-syrienne qu’il a pu être désigné au poste de Premier ministre. Sur les 57 voix qu’il a obtenues lors des consultations parlementaires obligatoires menées vendredi par le président de la République Emile Lahoud pour choisir un successeur à Omar Karamé, 37 viennent de la coalition parlementaire de l’opposition. C’était plus que suffisant pour battre l’autre candidat Abdel Rahim Mrad, ministre sortant de la Défense qui n’a récolté que 48 votes.
Ceux qui suivent de près la crise libanaise depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, le 14 février, ont de quoi être surpris. Pourquoi l’opposition, qui a tant milité pour le retrait des troupes syriennes du Liban, a-t-elle fini par porter à la tête du gouvernement un ami de Bachar el-Assad ? La réponse est en même temps simple et complexe, autant que peut l’être le Liban. L’opposition n’a de cesse de rappeler que sa priorité est d’obtenir la tenue des législatives dans les temps prévus, c’est à dire le 31 mai au plus tard. Mais cela n’est pas possible tant qu’il n’y a pas de gouvernement. Le Premier ministre sortant, Omar Karamé, a perdu un temps précieux (46 jours) sans réussir à former un cabinet. L’opposition le soupçonnait de tergiverser dans le but de dépasser les délais constitutionnels et de provoquer le report des élections en attendant des jours meilleurs pour les alliés de Damas au Liban. Il fallait donc impérativement faciliter la désignation d’un nouveau Premier ministre et la formation d’un gouvernement. Entre Najib Mikati, un proche de la Syrie connu pour sa modération mais aussi un ami de la famille Hariri, et Abdel Rahim Mrad, un pro-syrien pur et dur, l’opposition a choisi le moindre mal. Dans ce sens, Mikati était le candidat de l’opposition, sans pour autant être un ennemi de la Syrie.
Neutralité syrienne
La Syrie, elle, est restée à l’écart du processus de désignation du Premier ministre. Ainsi, le ministre sortant de l’Intérieur, Sleimane Frangié, un des plus proches alliés de Damas, a voté pour Mikati. De nombreux députés de la Békaa, également très liés aux autorités syriennes, se sont abstenus ou alors ont carrément voté pour le candidat appuyé par l’opposition. La neutralité syrienne s’explique par deux raisons: soit Damas craint d’être montré du doigt par la communauté internationale qui exige la fin de son ingérence dans les affaires politiques libanaises; soit il fait un geste de bonne volonté en direction des Etats-Unis et de la France. Dans les deux cas, le résultat est le même. Pour la première fois depuis 15 ans, les Libanais ont choisi librement leur Premier ministre, dont le nom n’a été connu qu’après la fin des consultations parlementaires.
Pour rassurer les uns et les autres dans cette période trouble de l’histoire du Liban, Najib Mikati s’est présenté comme un centriste, garant de l’unité nationale. « Le Liban ne peut être gouverné qu'avec modération, a-t-il dit. La ligne que j'ai choisie consiste à ne pas être aveugle avec les loyalistes et à ne pas être aveugle avec l'opposition. J'espère être en mesure d'incarner l'unité nationale ». Avant le début des consultations parlementaires, il avait pris trois engagements répondant aux exigences de l’opposition: organiser les élections à la date prévue; limoger les chefs des services de sécurité accusés d’être responsables de l’assassinat de Hariri; et ne pas se porter candidat aux élections, comme gage de sa neutralité.
Cet épisode de la crise libanaise a d’autre part été marqué par un retour de l’opposition à l’arbitrage des institutions. Après avoir boycotté les précédentes consultations parlementaires et le président de la République, elle a décidé d’y participer en se rendant au palais présidentiel.
Ministre des Transports et des Travaux publics entre 1998 et 2004, Najib Mikati devra faire preuve de talents de fin politique pour surmonter les nombreux écueils qui se dresseront sur son chemin. « C'est le moment de créer un nouveau Liban », a-t-il promis. Les Libanais attendent de le voir à l’œuvre lorsqu’il devra gérer, dans un contexte sécuritaire et économique instable, les délicats équilibres politiques, confessionnels et régionaux qui constituent le quotidien libanais.
par Paul Khalifeh
Article publié le 16/04/2005 Dernière mise à jour le 16/04/2005 à 13:03 TU