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Cambodge

Les Khmers rouges bientôt jugés

Khieu Samphan, Premier ministre du régime Khmer rouge. (Photo : Pauline Garaude/RFI)
Khieu Samphan, Premier ministre du régime Khmer rouge.
(Photo : Pauline Garaude/RFI)
Le régime de Pol Pot, qui a sévi au Cambodge entre 1975 et 1979, a tué près de deux millions de personnes. Les Nations unies et le gouvernement sont parvenus à un accord en mai 2003 sur la création d’un tribunal « à caractère international » composé de juristes cambodgiens et internationaux. Comme l’explique P. Gilette, rédacteur en chef du quotidien francophone Le Cambodge Soir, « maintenant que les conditions financières sont réunies, l’ONU va bientôt déclarer l’ouverture du procès. Le recrutement des juges devrait se dérouler pendant l’été, avant que l’instruction ne démarre véritablement à l’automne 2005 ». Six anciens dirigeants vont être jugés pour génocide et crime contre l’humanité dont l’intellectuel et la figure de proue du mouvement, Khieu Samphan. Il revient sur les faits et nie toute responsabilité.
De notre correspondante à Phnom Penh 

RFI : Comment accueillez-vous le procès des anciens dirigeants Khmers Rouges ?

Khieu Samphan : Il m’est difficile de me prononcer a priori. Le procès va-t-il aider les Cambodgiens, dirigeants et simples citoyens, à se faire une vision juste de l’histoire récente de leur pays et à en tirer des expériences, des leçons et des avertissements dont elle est bien riche ?  Dans ce cas seulement, il peut leur apporter quelque chose d’utile. Ceci dit, depuis les Accords de Paris, les leaders Khmers rouges savaient qu’ils seraient un jour traduits devant la justice pour crime de génocide : telle est la « duperie » qu’ils voyaient dans ces accords.

RFI : Quelle facette du régime représentiez-vous ?

K.P. : Je n’étais qu’une figure de proue des Khmers rouges. Avec Hu Nin et Hou Youn, nous visions l’union des deux forces nationales en présence : celles des communistes et celles du Prince Norodom Sihanouk. Sans prêter attention, il est vrai, aux confusions qui pouvaient en découler et qui se sont d’ailleurs renforcées par l’attitude effacée et secrète des dirigeants. Le résultat est que les noms les plus connus des Khmers rouges - les nôtres - sont justement ceux qui n’ont jamais eu de rôle dans la direction et les décisions du mouvement. Ces noms là étaient gardés secrets. Combien donc sont erronées les accusations portées contre moi comme étant « l’un des architectes du régime d’extermination du Kampuchea démocratique » ou comme « ayant servi à couvrir l’édification d’un tel régime » !

RFI : Etant membre du Comité Central du PCK, on vous estime « introduit dans le secret des décisions politiques émanant de cet organe, y compris les arrestations des ennemis suspectés du régime» : est-ce le cas ?

K.S. : Je tiens à rappeler que le régime du « Kampuchea démocratique » dont j’étais le président était un régime communiste où le parti dirige l’Etat. Le vrai et seul organe de direction du parti était le Comité Permanent et non le Comité Central. Ce dernier n’était qu’un lieu de préparation idéologique et politique des responsables des zones et des régions. En tant qu’intellectuel,  j’étais considéré dans les rangs Khmers rouges comme « un sincère patriote ». Mais aux yeux des leaders, je devais (moi, petit bourgeois intellectuel ayant étudié à Paris) me « rééduquer idéologiquement » auprès des cadres paysans pour acquérir une ferme position de classe. C’est pour cette raison qu’on m’a permis à assister aux réunions du Comité Central. Mon accession à cet organe était donc loin de pouvoir m’introduire « dans le secret » des importantes décisions du PCK dont je suis accusé.

RFI : Vous étiez pourtant au courant des massacres... Pourquoi n’avez-vous pas agi ?

K.S. : L’isolement était la règle de fonctionnement du parti. La règle stricte du secret était martelée à chaque réunion du comité central et des cellules : « Remplis bien ton travail et n’en parle pas à autrui ». Mon travail à l’office 870, bien que réduit à un travail administratif, m’obligeait à vivre quasiment cloîtré et j’ignorais les décisions politiques réelles des dirigeants au sein du comité permanent et sur le terrain. Je devais me plier à la discipline du régime. Personne n’osait me révéler quoi que ce soit. Ce n’est qu’en 1978 que j’ai entendu parler d’un cas d’arrestations massives et d’atrocités commises dans la province de Preah Vihear. Ma femme m’a fait savoir que ses frères et proches parents étaient parmi les victimes. En ce temps, la libération  des prisonniers et l’arrestation du secrétaire du parti de la province m’avaient alors amené à penser que ce n’était qu’un cas isolé. Jamais je n’aurais soupçonné que c’était là un élément d’une politique systématique de tuerie.

RFI : Quel regard portez vous aujourd’hui sur ce mouvement ?

K.S. : Le parcours du mouvement que j’ai suivi d’assez près de 1967 jusqu’à sa victoire d’avril 1975, a donné la preuve, à mes yeux, de son caractère réellement patriotique et de sa capacité à élaborer et à mettre en œuvre une stratégie appropriée pour faire face aux défis immenses opposés à la volonté d’indépendance du pays. Ce qui explique que, j’ai eu de la peine à reconnaître le caractère atrocement brutal du régime. J’avoue avoir eu une naïveté certaine d’avoir accordé de ce fait ma confiance à Pol Pot.

RFI : Le peuple cambodgien dont vous avez souhaité le bonheur attend aujourd’hui votre jugement : qu’avez-vous envie de dire ?

K.S. : A aucun moment, je n’ai pensé devenir un leader. A aucun moment, je n’ai pensé à tuer. Je m’incline humblement devant la mémoire des innocentes victimes des massacres et des actes de cruauté commis sous le régime du Kampuchea démocratique dont à aucun moment je n’ai été complice ou décisionnaire. A mes compatriotes qui ont perdu les êtres chers, je demande pardon. Je leur demande de pardonner ma naïveté. En m’engageant au début des années 70 dans la résistance, j’avais cru remplir mon devoir pour la survie et la prospérité de notre nation. Jamais, je n’avais pu imaginer que cela pouvait aboutir à une telle tuerie. En toute justice, on ne saurait assimiler mes prises de position successives à des actes de complicité avec des massacres et des crimes. Quelle a été ma part de responsabilité ? Je laisserai le peuple et la justice se prononcer sur mon cas

par Pauline  Garaude

Article publié le 17/04/2005 Dernière mise à jour le 17/04/2005 à 12:05 TU

Seront jugés :

 Khieu Samphan : Premier Ministre du régime Khmer rouge puis président du Kampuchea démocratique en 1976, il a été l’interlocuteur des Occidentaux qui le trouvaient «modéré et présentable». Etudiant à Paris, sa thèse de doctorat sur  «L’Economie du Cambodge et ses problèmes d’industrialisation» a été très appréciée de Pol Pot qui s’en inspira. Nuon Chea : «Numéro deux» du commandement militaire des Khmers rouges et son commissaire politique en chef de 1970 à 1975. Il est avec Ta Mok derrière la plupart des purges. Ieng Sary : «le Frère n°3», et sa sœur, Khieu Tirith (belle-sœur de Pol Pot). Ta Mok : dit «le Boucher». Arrêté le 6 mars 1999, il est en prison. Duch : ancien patron du camp d’interrogation et de sécurité S21, il est directement responsable de milliers d’exécutions.

Audio

Stéphanie Gée

Correspondante de RFI à Phnom Penh

«Les Cambodgiens ne courent pas après de date commémorative mais d’avantage après un procès qui pourra leur rendre justice.»

Julien Rivet

Avocat, cofondateur de l'association Justice pour le Cambodge

«Il faut bien comprendre que dans l'administration cambodgienne il ya des anciens Khmers rouges, il y en a même au gouvernement.»

Jean Lacouture

Ancien correspondant du journal Le Monde et du magazine le Nouvel Observateur

«Pour moi, pendant longtemps, les khmers colons qualifiés de rouges étaient d’abord un mouvement de résistance contre un gouvernement fabriqué par les Américains.»

La marche du monde

Par Valérie Nivelon

«J'ai vécu la prise de Phnom Penh.»

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[16/04/2005]