Espagne
Une branche d’al-Qaïda devant la justice
(Photo: AFP)
Le dispositif de sécurité mis en place est à la mesure de ce qui est d’ores et déjà considéré comme le plus grand procès jamais intenté en Europe contre la nébuleuse al-Qaïda d’Oussama Ben Laden. A commencer par le lieu où doivent se dérouler les audiences. Un vaste pavillon de briques, devant lequel flottent des drapeaux noirs, a ainsi été aménagé à l’entrée de la Casa del Campo, un parc boisé situé à l’ouest de la capitale madrilène. Une centaine de policiers armés et assistés de chiens ont été affectés à sa surveillance. Un hélicoptère et un dispositif de brouillage électronique, destiné notamment à déjouer toute activation de bombe à distance, assurent également la sécurité du site. Et pour éviter tout risque inutile, les inculpés comparaissent dans un vaste box de verre blindé.
Ce procès, qui doit durer plusieurs mois, est l’aboutissement d’une instruction menée depuis huit années par le juge antiterroriste Balatsar Garzon qui a mis en lumière les activités de militants islamistes opérant librement en Espagne dans le cadre du jihad lancé par Oussama Ben Laden contre l’Occident. Deux mois après les attentats du 11 septembre, le magistrat espagnol lançait «l’opération Datil» qui a conduit à l’arrestation notamment de Imad Eddine Barakat Yarkas, alias Abou Dahdah, considéré comme le chef de la cellule espagnole d’al-Qaïda, chargé d’endoctriner et de recruter de jeunes musulmans pour la guerre sainte. La police a identifié au moins douze candidats au jihad qu’il aurait envoyés combattre en Bosnie, en Tchétchénie et en Afghanistan.
Espagnol d’origine syrienne, Abou Dahdah est accusé avec un de ses complices, le Marocain Driss Chebli également dans le box des accusés, d’avoir préparé une réunion en juillet 2001 à Tarragone, au nord-est du pays, à laquelle aurait notamment participé le chef des pilotes des attaques suicides, Mohamed Atta, et au cours de laquelle auraient été fixés les ultimes détails de ces attentats. Un troisième membre de la cellule espagnole, le Syrien Ghassoub al-Abrash Ghalyoun, est accusé d’avoir minutieusement filmé les tours jumelles du World trade center lors d’un séjour aux Etats-Unis et remis ses enregistrements à un responsable d’al-Qaïda. Accusés d’«assassinats terroristes par complicité nécessaire», ces trois hommes encourent plus de 60 000 ans de prison, soit vingt-cinq années pour chacun des morts des attaques du 11 septembre. Dans les faits et en vertu du code pénal espagnol, ils passeront –s’ils sont condamnés– trente ans derrière les barreaux.
Un journaliste d’al-Jazira dans le box des accusés
Le journaliste vedette de la chaîne de télévision qatarienne al-Jazira, Tayssir Allouni, comparait également pour «appartenance à une organisation terroriste». Rendu célèbre pour son interview d’Oussama Ben Laden réalisée après les attentats du 11 septembre, cet Espagnol d’origine syrienne avait été arrêté une première fois en septembre 2003 à Grenade –son lieu de résidence– et remis en liberté un mois plus tard pour des raisons de santé. Il avait ensuite été interpellé une seconde fois et placé en détention préventive en novembre 2004 avant d’être libéré le 16 mars dernier pour les même raisons et placé en résidence surveillée. Tayssir Allouni est accusé d’avoir entretenu «pendant des années des liens étroits» avec Abou Dahdah qui l’aurait «chargé de remettre de l’argent à des membres d’al-Qaïda» à l’occasion de ses voyages professionnels en Afghanistan. L’accusation met en avant notamment une somme de 4 000 dollars remise en janvier 2000 à Mohamed Bahia, un «messager» présumé de la nébuleuse islamiste entre ses camps d’Afghanistan et de Tchétchénie et l’Europe.
Le journaliste a nié en bloc ces accusations et mis en cause l’impartialité de la justice espagnole. Selon lui, s’il est poursuivi, c’est «en raison des fausses informations donnée par la police fédérale américaine (FBI)» au parquet espagnol. Tayssir Allouni, qui a été l’un des rares journalistes à couvrir la campagne américaine en Afghanistan depuis Kaboul, s’est déclaré très pessimiste la veille de l’ouverture du procès. «Vu ce qui s'est passé jusqu'à présent, je n'ai pas de raison d'être optimiste. La présomption d'innocence n'a pas été respectée au cours de l'instruction, j'ai déjà critiqué les lois spéciales espagnoles, je ne peux pas me permettre le luxe d'être optimiste», a-t-il affirmé. «J'espère que le tribunal va rendre justice quand il se rendra compte de toutes les erreurs du procès et des prétendus indices contre moi, dont des conversations mal traduites et interprétées de la pire façon», a-t-il cependant ajouté. Plusieurs observateurs internationaux et associations de défense des droits de l’Homme suivent avec attention son dossier.
Prévu pour durer plusieurs mois, le procès qui s’est ouvert ce matin se déroule dans un contexte chargé d’émotion. C’est en effet la première procédure antiterroriste mise en place depuis le massacre de la gare madrilène d’Atocha. Cent quatre-vingt-onze personnes étaient mortes à la suite de l’explosion de plusieurs bombes placées dans des trains ce 11 mars 2004, soit deux ans et demi exactement près les attaques qui ont visé Washington et New York.
par Mounia Daoudi
Article publié le 22/04/2005 Dernière mise à jour le 22/04/2005 à 17:10 TU