Irak
La déconcertante rhétorique de Washington
(Photo: AFP)
Voilà deux ans, jour pour jour, le général en retraite américain Jay Garner posait ses valises en Irak pour prendre en charge les affaires civiles. Il avait alors promis l’établissement d’«un nouveau système» dans ce pays qui venait de vivre la chute de Saddam Hussein. Et c’est à Jalal Talabani, chef de l’Union patriotique du Kurdistan, l’un des principaux opposants du dictateur irakien déchu, qu’il avait réservé sa première visite. Deux ans après, Jay Garner a mis un terme à sa mission et Jalal Talabani occupe depuis peu le siège de président du pays. Une évolution qui va dans le sens du discours de Washington, désireux de pouvoir rapidement confier les rênes du pays à des représentants élus par le peuple irakien. Mais ce processus de transition politique est extrêmement lent, à l’image des difficiles tractations en cours qui doivent permettre la formation d’un gouvernement.
Le discours rassurant tenu par les autorités américaines sur l’avenir de ce pays se heurte clairement à la réalité vécue sur le terrain. Se basant sur des informations données par les forces armées américaines, plusieurs médias ont récemment fait état d’une importante réduction du nombre d’attaques suicide perpétrées dans le pays. Une baisse de la violence qui inciterait les autorités américaines à envisager au début de l’année prochaine un retrait partiel de leurs troupes. Jeudi, Lawrence Di Rita, porte-parole du Pentagone, affirmait à son tour que la sécurité était meilleure sur le terrain, s’appuyant notamment sur le fait que le nombre moyen d’attaques restait actuellement inférieur à celui que connaissait le pays avant le retour à la souveraineté de l’Irak, en juin 2004, et les élections du 30 janvier dernier. «Les commandants se demandent si ils (les insurgés) rassemblent leurs forces déclinantes pour être capables de mener des attaques qui apparaissent mieux coordonnées et plus spectaculaires, avec peut-être moins d’attaques mais plus spectaculaires», a-t-il expliqué lors d’une conférence de presse.
S’il ne fait pas de doute pour Lawrence Di Rita que l’armée américaine a amélioré sa «capacité à prévenir les attaques des insurgés irakiens», les dernières violences qui se sont produites dans le pays alimentent le scepticisme de nombre d’observateurs. Un hélicoptère civil bulgare à bord duquel se trouvaient onze personnes, dont six Américains, a ainsi été abattu jeudi dans le nord de Bagdad, une attaque revendiquée par le groupe de l’Armée islamique en Irak. Le transport héliporté est pourtant l’un des moyens de déplacement le plus sûr dans ce pays et surtout dans sa capitale. Il est notamment utilisé pour assurer la liaison entre l’aéroport de la ville et la zone verte, un périmètre de Bagdad protégé par les forces américaines et irakiennes où se trouvent les ambassades américaine et britannique ainsi que de nombreux bâtiments officiels irakiens. Théâtre chaque jour d’attentats et d’attaques, la route qui sépare ces deux points est extrêmement dangereuse. Une explosion sur cet axe routier a ainsi coûté la vie jeudi à un agent de sécurité d’une firme étrangère, deux attaques ayant déjà, vingt-quatre heures auparavant, tué six personnes.
Les journalistes roumains menacés de mortMalgré l’action coordonnée des militaires de la coalition et des forces irakiennes et la présence de plusieurs dizaine de milliers d’agents travaillant pour des firmes de sécurité étrangères, personne ne semble en fait être actuellement à l’abri dans le pays. Le Premier ministre irakien Iyad Allaoui a ainsi lui-même échappé mercredi à une tentative d’attentat. Et le décompte des victimes ne cesse de s’alourdir chaque jour, comme l’a encore montré cette journée de vendredi. Un attentat anti-chiite perpétré contre une mosquée de la capitale a fait au moins neuf tués et vingt-six blessés, tandis que l’armée américaine annonçait la mort de l’un de ses soldats, tué par une bombe artisanale. Une perte supplémentaire qui porte à 1556 le nombre de soldats américains morts en Irak depuis l’invasion de ce pays en mars 2003.
Le climat de violence qui règne sur place a également été alimenté cette semaine par la découverte des corps de dix-neuf soldats irakiens abandonnés dans une zone désertique située à 200 km au nord de Bagdad. Les cadavres de ces militaires enlevés quelques jours auparavant par des rebelles étaient criblés de balles. Et dix-neuf autres soldats irakiens ont connu le même sort dans la ville de Haditha, située à 260 km de nord-est de la capitale. Des massacres dont l’existence a été révélée quelques jours seulement après l’annonce du repêchage d’une soixantaine de corps dans le Tigre. Jalal Talabani a déclaré qu’il s’agissait de ceux d’ex-otages chiites retenus dans la ville de Madaïen, située au sud de Bagdad. Ils auraient été victimes d’une attaque menée par des rebelles sunnites.
Invitées à donner plus de précisions sur ces différentes tueries, les autorités américaines ont préféré opter pour la prudence en expliquant que ces informations n’avaient pas été recoupées de manière indépendante. Et elles ne devraient donc logiquement pas pouvoir entrer dans les calculs statistiques sur lesquelles elles se basent pour affirmer que la violence est en recul en Irak. Malheureusement, seuls quelques observateurs indépendants se trouvent sur le terrain, les enlèvements répétés de journalistes étrangers contraignant la plupart des médias à déserter ce pays. Trois journalistes roumains sont ainsi retenus en otages depuis le 28 mars par un groupe d’insurgés qui a donné vendredi quatre jours au gouvernement roumain pour retirer ses troupes du pays, menaçant d’exécuter les trois journalistes en cas de refus. Quant à la journaliste française Florence Aubenas et à son guide irakien Hussein Hanoun al-Saadi, leur captivité a franchi vendredi le cap des 107 jours.
par Olivier Bras
Article publié le 22/04/2005 Dernière mise à jour le 22/04/2005 à 17:54 TU