Mexique
Soutien massif pour le leader de la gauche
(Photo: Patrice Gouy/RFI)
De notre correspondant à Mexico
Dès 9h du matin, la circulation dans les rues de la capitale s’était considérablement ralentie. Des milliers de voitures, d’autobus mais aussi de piétons venus en métro, tentaient de rejoindre l’esplanade du Musée national d’anthropologie, point de départ de la manifestation. Au fil des heures, un immense cortège de sympathisants s’est mis en marche sur le paseo de la Reforma, (les Champs Elysées mexicains), tout en respectant les fleurs et les monuments. Cette manifestation qui se déroulait sur 9 km a emprunté symboliquement le parcours d’une autre manifestation historique : celle des étudiants mexicains après le massacre de Tlatelolco perpétré par l’armée et la police en octobre 1968.
« Excusez le dérangement que provoque cette démocratie »
Manifestation sans bruit, sans heurt et sans violence. S’agissant d’une marche silencieuse, les manifestants brandissaient des calicots, des banderoles, des pancartes, des bannières avec les slogans les plus divers : «Tous unis contre l’injustice» ; plus humoristique, «Excusez le dérangement que provoque cette démocratie» ; tragique, «Après avoir discuté, négocié, voté, après avoir crié, nous avons choisi collectivement de nous taire». Juan Herrera, qui brandit haut son carton, nous explique que cette manifestation est un peu celle du désespoir. «Nous sommes là, silencieux, avec la bouche bâillonnée par un masque blanc, car nous nous rendons compte que notre toute jeune démocratie mexicaine ne parvient pas à s’affirmer et risque de sombrer avant même d’avoir été adulte. Notre silence est celui d’un deuil, parce que la démocratie commence à mourir, le gouvernement de Vicente Fox que l’on a appelé gouvernement du changement, préfère enterrer cette démocratie plutôt que d’accepter l’alternance.»
Cette foule immense était composé de militants du PRD (Parti de la révolution démocratique), le parti du maire, que l’on reconnaissaient à leurs tee-shirts et à leurs casquettes jaunes, mais regroupait aussi des milliers de Mexicains venus de toutes les classes sociales qui, au-delà de leur sympathie pour le maire de Mexico, voulaient marquer leur mécontentement vis-à-vis du gouvernement de Vicente Fox et des deux partis de droite (PRI et PAN). Ces milliers de gens se sont intégrés à la marche en nombre beaucoup plus important que ce que les organisateurs espéraient. A 500 000 participants, c’était gagné, mais avec 1,2 million de personnes, le soutien populaire au maire s’est transformé en un sérieux avertissement pour le gouvernement mexicain dont les pratiques irritent même son puissant voisin.
En campagne électorale
Rasséréné par à la multitude qui l’accompagnait, le maire de Mexico a parcouru, courageusement, en première ligne, les 9 km de la manifestation. Sur la place de la Constitution pleine à craquer, le podium et les écrans immenses avaient été symboliquement installés, non pas devant la cathédrale comme c’est la coutume mais adossés contre le Palais national qu’Andrés Manuel López Obrador espère occuper en juillet 2006. Dans un discours très politique, pragmatique et sans aucune provocation, il a appelé les secteurs sociaux, civiles, économiques, religieux et politiques du pays à rejoindre le nouveau projet alternatif pour la nation qu’il propose aux Mexicains pour rétablir l’Etat de droit, refondre les institutions et réaliser une véritable transition démocratique. En caution, il met sa gestion très rigoureuse de la capitale depuis l’an 2000. Pour éviter que la droite ne lui applique «bêtement» l’étiquette de «populiste», il a rappelé fermement que si son projet est dirigé en priorité vers les pauvres, il est aussi ouvert et non exclusif, et qu’au contraire, il estime essentiel que les représentants de tous les secteurs de la société soient pris en compte.
Le premier point de son agenda est «le combat contre la pauvreté qui atteint 52% de la population» mais «le changement proposé ne signifie ni un retour à l’étatisme ni l’adoption soumise des politiques néolibérales». Comme pour rassurer les marchés et Washington, il appelle à utiliser la globalisation plutôt que de la subir et a assuré que son projet ne remettait pas en cause les grands fondamentaux de l’économie libérale. Pour l’ouverture énergétique, un sujet brûlant au Mexique, il propose que le pétrole reste mexicain mais ne serve pas à financer le budget de l’Etat comme c’est le cas actuellement, mais à développer une véritable pétrochimie, créatrice d’emplois.
Enfin, il a expliqué que le mauvais procès judiciaire que le gouvernement, la droite (PAN et PRI) lui font sous un prétexte futile est de nature politique et non juridique, destiné à l’écarter de la bataille électoral de 2006. Il a souligné que «cette décision de le démettre de [ses] fonctions et de [le] rendre inéligible va plus loin que le tort qu’on veut personnellement lui faire, car elle prétend en fait annihiler le droit des Mexicains à voter pour lui, ce qui est intolérable et porte atteinte à la démocratie naissante».
C’est la raison pour laquelle Lopez Obrador privé de son immunité et déchu de son poste de maire par la chambre des députés depuis le 7 avril a décidé de passer outre les décisions des différents juges qui font tout pour l’empêcher d’exercer ses fonctions et qui voudraient le voir en prison. Il a donc terminé son discours en annonçant que n’ayant rien à se reprocher juridiquement, il avait décidé, en accord avec ses avocats, de reprendre ses fonctions de chef du gouvernement de Mexico, poste pour lequel une majorité d’électeurs l’avaient élu pour 6 ans en juillet 2000.par Patrice Gouy
Article publié le 25/04/2005 Dernière mise à jour le 29/04/2005 à 15:41 TU