Togo
Les cinq jours qui ébranlèrent le Togo
(Photo: AFP)
De notre envoyé spécial
Dimanche 24 avril
Une femme togolaise dépose son bulletin dans l'urne, à Lomé, le 24 avril 2005. (Photo: AFP) |
13h. En début d’après-midi, dans chacun des lieux de vote que nous visitons, des incidents éclatent. A Kodjoviakopé, c’est un homme qui essaie de voter une deuxième fois. A l’école des étoiles, dans le quartier des étoiles, un coordinateur de centre et le directeur de l’école ont maille à partir avec les militants de l’opposition qui ont attrapé un homme en possession d’un important stock de carte d’électeurs. L’homme est exfiltré du bureau par les gendarmes, tandis que Jean-Pierre Fabre, le secrétaire général de l’UFC, le principal parti de l’opposition tente de calmer la foule qui s’échauffe d’heure en heure.
A 17 heures, Lomé retient son souffle. L’air surchauffé de mille passions s’embrase au moment du dépouillement. Dans une école d’Akodewessa, une foule hurle sa colère. Des hommes armés ont tenté de voler les urnes. Ils ont été chassés par la Fosep, la force de sécurité créée pour l’élection, mais la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Plus au sud à Bagida, les premières barricades s’élèvent, les pneus s’enflamment. A Bé, le quartier fief de l’opposition, les forces de l’ordre interviennent. A Bé-Gare, des militaires emmènent des urnes après avoir chassé les gendarmes de la Fosep. Dans ce quartier, le dépouillement tourne à l’affrontement. L’armée utilise des balles en caoutchouc, mais aussi des balles réelles. Douze blessés arrivent à l’hôpital du troisième district de Bé-Gare dont deux ont été atteint par des balles.
Dès la fermeture des bureaux de vote, des scènes de violence ont éclaté dans les rues de Lomé. (Photo : AFP) |
21h. Le calme revient peu à peu à Bé. Mais le quartier est bouclé. A Bé, comme dans d’autres quartiers de la ville, le dépouillement n’a pas pu avoir lieu. Des militaires ont emporté des urnes, comme en témoigne les premières images diffusées par AITV-RFO.
Lundi 25 avril
Quartier de Bé: 10 heures. Bé s’est réveillé dans la peur. Des arbres coupés barrent l’avenue Malfakassa. Partout des gravats, des pneus brûlés et quelques carcasses de voitures encombrent les ruelles. Parfois, des petites tranchées ont été creusées dans le sable pour empêcher les véhicules des forces de l’ordre de se déployer. Sur une place, des hommes pratiquent le culte vaudou et la magie pour protéger le quartier. On invoque les mânes et les forces du bien pour combattre et protéger.
Les Togolais attendent le résultat de l’élection présidentielle. (Photo : AFP) |
15h. Dans la rue, les jeunes accueillent les quelques journalistes qui osent s’aventurer à Bé avec des cris de haine. «Nous allons vous tuer», prévient un géant avec un sac de plastique sur la tête. Un homme affirme que tous les étrangers doivent «quitter le pays au plus vite, sous peine d’être chassés.» Jacques Chirac est la cible de la jeunesse. «Chirac assassin. Gbagbo a raison !», Résume un jeune plombier au chômage. A Bé, la jeunesse en veut à la terre entière, mais plus particulièrement à la France et aux pays de la CEDEAO accusés de vouloir faire élire Faure Gnassingbé coûte que coûte, au nom de la stabilité régionale.
Mardi 26 avril
10 heures. La journée commence calmement. Sauf à Togo 2000, un grand centre commercial en plein air, situé dans le quartier For Ever. Là-bas des milliers de militants du RPT, le parti au pouvoir ont été parqués. Ils viennent du Nord et plus particulièrement de la région de Kara. Tous ont un bâton ou une machette à la main. Ces militants sont chargé de faire contrepoids à la toute-puissance de l’opposition qui domine la capitale. Mais certains de ces militants sont des miliciens, armés, cagoulés, et prêts à se battre. A Bé, les barricades se sont encore renforcées, des escouades de jeunes frondeurs ramassent des cailloux ou préparent des cocktails Molotov. Chacun fourbit ses armes en attendant les résultats.
Après l'annonce des résultats de l’élection présidentielle, les militants de l'opposition érigent des barricades et brûlent des pneus dans les rues de Lomé. (Photo : AFP) |
13h. Quelques minutes à peine après l’annonce de ces résultats, Lomé s’embrase. Kodjoviakopé, Tokoin, Niekonakpoé, Klikamé, Anoukopé, Amoutivé, Ablogamé, Bé, Akodewessa, Gbagida, etc. Tous les quartiers de la ville s’enflamment. Le feu ne tarde pas à gagner la province. Tsévié, Tabligbo, Kpalimé, Atakpamé, Vogan et Aného s’embrasent à leur tour. A Lomé, les forces de l’ordre prépositionnées se déploient instantanément. Les bérets-rouges, les fantassins, les gendarmes et les policiers investissent les quartiers. Ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère. Des observateurs de la Croix-Rouge Internationale assistent à des exécutions sommaires. A Kodjoviakopé et à Tokoin les Libanais et les Français sont chassés des maisons. Les pillards s’en donnent à coeur joie. L’ambassade d’Allemagne doit accueillir en urgence des ressortissants français.
Le combat ne fait que commencer à Bé. Dans ce bastion d’irréductibles, les militaires tirent sur la foule et emploient davantage que des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. A l’hôpital de Tokoin, le grand CHU de la ville, un médecin militaire a soigné des blessures provoquées par des balles explosives. 90% des blessés le sont par balles. La porte de la morgue reste fermée, mais les médecins parlent à mots couverts d’une cinquantaine de cadavres. Les émeutes ne font que commencer. Les affrontements entre jeunes militants armés de cailloux, de fronde et de machettes et les forces de l’ordre se poursuivent jusqu’à l’aube.
Mercredi 27 avril
Une patrouille de la police togolaise dans les rues de Lomé, le 27 avril. (Photo : AFP) |
De son côté, caché dans une villa du quartier de Kodjoviakopé, Emmanuel Bob-Akitani dénonce les résultats annoncés par la Ceni et s’autoproclame vainqueur de l’élection. Le Togo possède deux présidents.
Jeudi 28 avril
Le Goethe Institute, le centre culturel allemand de Lomé, a été incendié dans la nuit du 29 avril 2005. (Photo : AFP) |
Dans la ville d’Aneho, les gendarmes renvoient poliment les journalistes à Lomé. Interdiction d’aller plus loin. Le roi Lawson VIII d’Aneho, bastonné et humilié publiquement refuse de voir quiconque.
Dès le soir, l’ordre règne. Le régime à mis au pas la jeunesse à coup de fusil. Une répression violente qui s’accompagne d’actes d’intimidation. La presse internationale est publiquement accusée par le président par intérim, Abass Bonfoh d’être responsable du massacre. L’ambassadeur d’Allemagne est traité de nazi, par le même homme. La nuit, le centre culturel allemand, le Goethe Institut est pillé et brûlé par des individus armés et cagoulé. Le seul tort de l’ambassadeur d’Allemagne est d’avoir donné asile à François Esso Boko, le ministre de l’Intérieur qui a démissionné à l’avant-veille du scrutin en dénonçant une élection «suicidaire.»
Suicidaire, elle le fut pour les jeunes de l’opposition. Au moins une centaine ont péri dans les rues de Lomé et dans les villes alentours selon des bilans recoupés de source sûres. La France a jugé le scrutin: «Globalement satisfaisant.»
par Olivier Rogez
Article publié le 03/05/2005 Dernière mise à jour le 03/05/2005 à 17:13 TU
Réalisation multimédia : Marc Verney/RFI