Côte d'Ivoire
Le bout du tunnel ?
(Photo : AFP)
Pour la France, sans élections sous haute surveillance, point de salut pour la Côte d’Ivoire. Son projet de résolution prévoit donc des mesures destinées à assurer la sécurité du scrutin, mais aussi à garantir sa validité. Le texte suggère ainsi de renforcer de quelque 2 000 casques bleus les effectifs de l'Onuci (6 000 hommes actuellement) et de muscler leur mandat concernant l'embargo sur les armes et le démantèlement des milices. Paris demande aussi au secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, de s’entendre avec l'Union africaine (UA) et son médiateur sud-africain, Thabo Mbeki, sur la désignation d’un «haut représentant de la communauté internationale pour les élections en Côte d'Ivoire», un «Monsieur élections propres» en quelque sorte. Dans ce contexte, la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, ne doute pas «qu'il y aura une demande» pour que soit maintenu (jusqu’à la fin des élections présidentielle et générales) le dispositif Licorne, qui sert de force d’intervention rapide à l’Onuci.
Le Conseil de sécurité «note avec satisfaction» que le président ivoirien Laurent Gbagbo a annoncé, le 26 avril, que «tous les candidats désignés par les partis politiques signataires de l'accord de Linas-Marcoussis seraient éligibles à la présidence.» Désormais, fort des pleins pouvoirs conférés par l’article 48 de la Constitution, le président Gbagbo a même expliqué dans un discours à la Nation que l’ancien Premier ministre, Alassane Ouattara, ne serait pas exclu comme en 2000 de la course présidentielle. Cette pomme de discorde remisée, le Premier ministre du gouvernement de «réconciliation nationale», Seydou Diarra, se déclare suffisamment optimiste –autre première– pour «entrevoir une sortie définitive de la crise dans les semaines à venir». Certes, il l’a dit le 4 mai devant de potentiels investisseurs étrangers réunis par le Centre de promotion des investissements en Côte d'Ivoire (Cepeci). Mais visiblement, à Abidjan, l’heure de la relance économique a sonné. Il est grand temps. Avec son taux de croissance négatif, le bateau ivre ivoirien menace de sombrer, et avec lui, tout espoir de paix.
Seydou Diarra: il faut «un programme d'urgence post-crise»
«Nous sommes en bout de course d'une situation particulièrement difficile que traverse notre pays», déclare le Premier ministre en assurant qu’une table ronde des bailleurs de fonds devrait se tenir «très prochainement pour réfléchir sur un programme d'urgence post-crise pour la reconstruction nationale». La question est d’autant plus cruciale que, conformément à l’accord de Pretoria comme à ceux qui l’ont précédé, le gouvernement va devoir très vite fournir des emplois civils aux anciens combattants, ex-rebelles ou miliciens, qui accepteront de déposer les armes. Et cela dans le cadre du programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) programmé du 14 mai au 31 juillet 2005 par les états-majors des Forces de défense et de sécurité de Côte d’Ivoire (FDSCI) et de l’ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) réunis à Bouaké, le 16 avril dernier, comme se l’était promis leur chefs politiques respectifs à Pretoria. Depuis le 2 mai les militaires planchent à nouveau à Yamoussoukro pour se mettre d’accord sur un calendrier détaillé de désarmement ainsi que sur le financement et les procédures de réinsertion promises.
Le séminaire de Yamoussoukro devrait se terminer vendredi. Le 21 avril dernier, l’Onuci annonçait, comme «une avancée déterminante» vers la paix, les premiers retraits d’armes lourdes, en l’occurrence «deux mortiers de 120 mm acheminés de Djébonoua vers Bouaké», côté FN et «un véhicule blindé, quatre mortiers – deux de 120 mm et les autres de 60 et 81 mm –deux lance-grenades AGS et des munitions convoyés de Tiebissou en direction de la capitale, Yamoussoukro», côté gouvernemental. En revanche, concernant le démantèlement des milices qui n’ont pas encore désarmé –et restent peu ou pas officiellement identifiées–, Seydou Diarra affiche sa bonne volonté, mais surtout son impuissance.
«Je ne vais pas me transformer en maréchal pour désarmer les milices. Il faut les cibler. Si ce n'est pas possible, nous allons faire pression avec les éléments des Forces de défense et de sécurité ainsi que ceux des Forces nouvelles. Et s'il n'y a pas de résultat, nous monterons au plan mondial», dit le Premier ministre, comptant sans doute sur la nouvelle résolution française pour régler le problème. En attendant, la circulation des armes et la tension économique viennent encore de faire une quinzaine de morts, des centaines de blessés et des milliers de déplacés à Duékoué, dans l’ouest cacaoyer. Entre le 29 avril et le 1er mai, des affrontements sanglants ont en effet opposé des planteurs et des habitants guéré à des commerçants et des transporteurs dioula. Ces derniers s’étaient mis en grève pour protester contre le racket des milices postées sur l’axe routier reliant Duékoué à la métropole régionale, Man.
Le 3 mai, pour sa défense, l’Onuci déplorait «vivement les violences inter-ethniques» de Duékoué. Elle annonçait en même temps qu’elle avait «multiplié ses patrouilles dans les camps», où sont essentiellement réfugiés des Guéré, et participé à «une rencontre interethnique de réconciliation ayant regroupé l’Onuci, les chefs traditionnels des différents groupes opposés, les groupes de milices, les responsables d’associations de transporteurs locaux, les autorités locales et les Forces de défense et de sécurité» nationales. «Le calme est revenu mais la situation demeure fragile», concluait l’Onuci. De leur côté, renvoyant les questions de sécurité aux spécialistes, les politiciens de tous bords paraissent finalement convaincus de l’urgence de se préparer à l’échéance électorale, dans six mois. Ils s’affairent déjà.
Réconciliés sur le dos de Laurent Gbagbo, les «houphouëtistes» du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) (le parti d’Henri Konan-Bédié) et du Rassemblement des Républicains (RDR) (celui d’Alassane Ouattara) envisageraient une plate forme commune. De leur côté, les hétéroclites Forces nouvelles vont devoir s’accorder sur leur place dans le futur combat des éléphants. Enfin, les partisans de Laurent Gbagbo prophétisent un boulevard ouvert sur la victoire. Quelle que soit leur issue, les grandes manœuvres électorales pourraient en effet remplacer assez vite le jeu d’échecs militarisé qui a dévasté la Côte d’Ivoire.
par Monique Mas
Article publié le 05/05/2005 Dernière mise à jour le 15/05/2005 à 16:36 TU