Égypte
Les cent ans d’Héliopolis

(Photo : AFP)
De notre correspondant au Caire
«On va à Héliopolis» ! Phrase magique de mon enfance révolue. De la fenêtre de l’Austin Morris je guettais, «après la traversée du désert», l’apparition du dôme pointu du «Palais du baron». Je savais alors que je n’étais plus au Caire mais à Héliopolis. J’avais quitté la ville-école pour la cité-récréation. Du bonheur de pédaler aventureusement aux confins du désert puis de siroter rêveusement son coca sur une plage sans mer ! Aujourd’hui je suis «héliopolitain». Voici au moins un rêve réalisé !
Un rêve comme celui d’Edouard Empain, ce «chevalier du rail » qui au début du XXe siècle construisait chemins de fer, tramways et métropolitains de la France à la Chine, du Congo à la Russie. Mais c’est en Égypte qu’il a confectionné le plus beau joyau de sa couronne : Héliopolis. En 1904, au cours d’une cavalcade dans le désert, Empain à l’idée de créer une «oasis où les loyers seraient bon marché et l’air pur» qui désengorgerait le Caire qui déjà commençait à connaître la surpopulation. En mai 1905 la société d’Héliopolis est fondée et les terrains achetés. Le baron (il ne le sera qu’en 1907 et même général durant la Première Guerre mondiale) qui ne connaît que la «pleine vapeur» a fini de construire son palais khmèro-hindou en 1911.
À tout seigneur tout honneur, ce chef d’œuvre de l’architecte français Alexandre Marcel sera le seul bâtiment qui échappera au style «néo-mauresque» de la ville. Deux années plus tard c’est l’Héliopolis Palace qui ouvre ses portes. «Le plus grand hôtel du monde» à l’époque. Entre-temps l’hippodrome a accueilli l’aristocratie et la grande bourgeoisie égyptienne et étrangère venue dans ces tramways blancs qui transportaient gratuitement les Cairotes vers Héliopolis. Le pari «haute société» était gagné. Restait à convaincre la bourgeoisie qui hésitait à «s’exiler au milieu de nulle part». L’attraction de villas et d’appartements conçus «à l’orientale» ne suffisait pas. Mais la Première Guerre mondiale allait donner le coup de pouce de la destinée. Levantins chrétiens et arméniens fuyant le courroux Ottoman allaient se réfugier en Egypte. Des réfugiés pas forcément pauvres qui créent à Héliopolis «le petit Cham» (Levant). Le succès, depuis lors, est ininterrompu. Et comme Alexandrie, Héliopolis devient une ville puis un quartier cosmopolite où se côtoyaient Egyptiens, Levantins, Européens, Arméniens, Juifs, chrétiens et musulmans dans une harmonie inimaginable aujourd’hui.
Les Cairotes attirés par les espaces verts
Même les années cinquante et soixante et leurs cortèges d’émigrations n’ont pas raison d’Héliopolis. Si le palais du baron Empain n’est plus habité que par les chauves-souris, l’hippodrome se transforme en jardin public au nom américain (Merryland) et attire les masses de Cairotes privés d’espaces verts. Le vrai danger apparaît à la fin des années soixante-dix avec l’Infitah (libéralisme économique) et sa soif de construire n’importe où et n’importe comment. Le désert disparaît sous des immeubles sans style et Héliopolis commence à connaître des problèmes de circulation.
Pire, les promoteurs commencent à s’en prendre au centre historique de la ville. Villas rasées pour construire des tours sans atours, surélévations sauvages, défigurations au plastique et au néon et invasion de marchands et de vendeurs ambulants ! Mais les dieux antiques veillent. En 1981 le président Anouar el Sadate est assassiné (près d’Héliopolis), son dauphin et successeur Hosni Moubarak vit à Héliopolis depuis des années. Il y déplace le palais de la présidence qui occupe désormais les locaux de l’ancien Héliopolis Palace. Quoi de plus normal pour un aviateur que de vivre près de l’aéroport. Mieux, son épouse Suzanne est héliopolitainne. Chargée de tout ce qui est «art et culture» elle s’intéresse à son quartier. Quand François Pradal, directeur du Centre français de coopération d’Héliopolis, et Mercedes Volait chercheur au CNRS spécialisée dans l’architecture cairote moderne lancent l’idée du centenaire, les autorités égyptiennes répondent immédiatement présent.
Le palais du baron qui avait échoué entre les mains d’investisseurs égypto-arabes qui projetaient de construire un hôtel super-luxe est racheté. Les façades des rues du centre sont ravalées et les édiles s’en prennent même à des contraventions architecturales qui semblaient définitives. Un rêve pour les Héliopolitains qui espèrent seulement qu’après les feux d’artifice et le carnaval les autorités ne retourneront pas à leurs vieilles habitudes. Car s’il faut attendre le prochain centenaire…par Alexandre Buccianti
Article publié le 09/05/2005 Dernière mise à jour le 09/05/2005 à 16:40 TU