République démocratique du Congo
Le Katanga se rappelle à Joseph Kabila
(Photo : Monuc.org)
Des arrestations de la semaine dernière et des interrogatoires en cours, on ne saura que ce que le pouvoir jugera utile de distiller. Mais nul doute que ce remue-ménage katangais soit une plaie sur le flanc sud-est du Congo, un casse-tête pour le pouvoir Kabila et une menace sur les élections qui devaient marquer le terme de la transition, le 30 juin prochain. Toujours est-il que, quarante ans après la tentative sécessionniste de Tshombé (1960-1962), appuyée en sous-main par l’Afrique du Sud et la Belgique, les Tigres et autres gendarmes katangais, ou plutôt leurs descendants et ceux qui s’en réclament, font toujours parler d’eux. Ils font sans doute encore rêver ceux que l’unitarisme congolais indisposent, certains qu’ils sont de mieux vivre, indépendants, une cuiller de cuivre dans la bouche, plutôt qu’installés à la table d’une République commune, encore serait-elle fédérale. Mais les Tigres d'hier ont peut-être aussi à servir aujourd'hui de repoussoir.
En 1997, dès son arrivée au pouvoir, le tombeur de Mobutu, Laurent-Désiré Kabila avait rappelé à lui les Katangais exilés en Angola où certains avaient repris du service militaire à la chute du «président» Tshombé. Taxé de favoritisme à l’égard de ses alliés de terroir, Kabila père, un Katangais du Nord, un Balubakat, était en fait autant, sinon plus, encombré que servi par sa cour militaire sud katangaise. Il l’avait dispersée à l’amiable, mais au plus vite, pour éviter qu’elle noyaute définitivement son pouvoir à partir de sa garde présidentielle, la remplaçant au plus vite par des fidèles balubakat. Mais depuis la mort jamais vraiment élucidée de Laurent-Désiré Kabila, le chaudron katangais n’a pas cessé de bouillir, à 3 000 kilomètres de Kinshasa, à l’écart des préoccupations sécuritaires internationales focalisées sur les Kivu et l’Ituri.
Agitateurs populistes
En 2003, au nord du Katanga, des affrontements, surtout sanglants pour les populations civiles, avaient opposé des miliciens maï maï à des soldats des Forces armées congolaises (les Fac de Kabila), les premiers reprochant aux seconds d’avoir ravagé la région au lieu de la défendre contre les visées du RCD allié de Kigali pendant la guerre de 1998. Avec la circulation des armes, les querelles de clochers se sont mêlées au banditisme qu’amplifie la crise économique. Le sud du Katanga a pour sa part encore de beaux restes. Mais sa bonne fortune minière n’est plus guère qu’un souvenir pour les citoyens du cru en proie au chômage. Quant aux maï maï, beaucoup estiment que les Kabila père et fils ne les ont pas correctement remerciés des services rendus. L’agitation conduite par des populistes en tous genres achève de troubler les esprits.
Entre 1992 et 1993, sous Mobutu, des milliers de Kasaïens ont été tués et plusieurs centaines de milliers expulsés du Katanga où ils étaient employés par la grande compagnie minière du cru, la Gécamines. Pour parvenir à ce désastre humain, il avait suffit à l’époque au gouverneur, Gabriel Kyungu, de promettre aux chômeurs katangais les emplois de leurs anciens compagnons de labeur. Egalement implantées sur place de longue date, par les colons belges en mal de main-d’œuvre, des cohortes de travailleurs rwandais ou burundais ont également dû fuir le Katanga lorsque Laurent-Désiré Kabila s’est fâché avec Kigali, en 1998. Ruinée par des décennies de corruption, par la chute des cours des matières premières – qui remontent en flèche – et par la guerre civile, la Gécamines n’a pas pour autant donné satisfaction aux demandeurs d’emploi katangais. Conformément aux exigences de la Banque mondiale, elle avait au contraire entrepris ces dernières années de réduire ses effectifs à la portion congrue. Selon les Nations unies, entre 1986 et 2002, sa production de cuivre s’est effondrée de 476 000 tonnes à 19 000 tonnes et celle de cobalt de 14 000 à 1 800 tonnes. Jadis florissant, le chemin de fer régional s’en porte mal. En attendant son éventuel rachat par l’Afrique du Sud, la compagnie ferroviaire, elle-aussi, a licencié en masse. Le paysage urbain et minier du sud du Katanga s’est mué en coquille vide.
Aujourd’hui encore, Gabriel Kyungu, s’active dans les querelles byzantines qui empoisonnent le Katanga. L’année dernière, il avait pris la tête d’une manifestation contre Joseph Kabila, au son des vieux airs sécessionnistes. Quelque temps avant, il semblait prétendre lui servir, le moment venu, de directeur de campagne. Dans ce climat sectaire aux alliances volatiles, Joseph Kabila fera feu de tout bois pour garder la magistrature suprême. Il peut se prévaloir de racines katangaises. Mais il en est aussi qui lui reprochent d'être l'un de ces Nordistes qui accaparent le Sud minier. D'autres mettent en avant ses attaches kivutiennes.
L'air de la division
Dans les derniers rebondissements de la métropole katangaise, les journaux kinois mettent en cause un riche homme d'affaires katangais, Katoto Katebe, et le bâtonnier de Lubumbashi, Jean-Claude Muyambo, président d’une ONG, Solidarité katangaise. Les deux hommes auraient tenté de propager l’idée que les richesses minières dont regorge le sud du Katanga profiteraient surtout à la communauté des Balubakat. C’est au sein du parti de la jeunesse balubakat que Laurent-Désiré Kabila fit ses premières armes de militant sous la colonisation.
Entre deux entrevues politico-militaires, Joseph Kabila va peut-être vanter à Lubumbashi les charmes du forum sur «la transparence dans la gestion des industries extractives» prévu à Kinshasa les 11 et 12 mai. «Les participants devront rassembler les diagnostics et les résultats des états des lieux réalisés, secteur par secteur, dans le domaine des industries extractives et des entreprises ou institutions apparentées» explique le comité organisateur du forum financé à 60% par la Banque mondiale et qui devrait notamment réunir une pléiade de représentants d’institutions internationales, de bailleurs de fonds, d’investisseurs et d’organisation non-gouvernementales. En attendant, le Katanga entonne à nouveau l’air de la division. Rien en tout cas de nature à rassurer les Congolais, qui souhaitent en majorité s’exprimer aux urnes, au plus vite, et qui accusent les artisans de la transition de prendre le temps de puiser dans les richesses nationales. Très loin de Lubumbashi et de ses turbulences, la Commission électorale indépendante vient en tout cas de demander le report du scrutin, au vu du retard pris par le processus électoral.
par Monique Mas
Article publié le 09/05/2005 Dernière mise à jour le 10/01/2006 à 17:57 TU