Cinéma
Le cinéma philippin en crise
(Photo : Kèoprasith Souvannavong)
Le public international du VIIe Festival du film asiatique d’Udine a applaudi et a beaucoup ri, notamment grâce à Mr Suave, une comédie sentimentale de la réalisatrice philippine Joyce Bernal.
Joyce Bernal, réalisatrice de Mr Suave : «l’industrie cinématographique des Philippines est sur le point de mourir». (Photo : Kèoprasith Souvannavong) |
Surfant sur cette vague, Mr Suave, doté d’un budget de près de 300 000 dollars, a été tourné en un mois et demi seulement. Il fallait se hâter avant que le tube soit relégué à la deuxième place du hit-parade. Ce film s’adresse à un large public et « peut-être comparé aux nouilles instantanées qu’il faut préparer et consommer rapidement », lance Joyce Bernal. Il met en scène Rico, un grand et beau jeune homme aux longs cheveux raides, à la moustache en croc et aux pantalons en jeans extrêmement moulants qui rappellent ceux portés par les chanteurs de Village People, groupe disco de la fin des années 1970. Bien qu’adulé par ses amis et doué pour leur donner de précieux conseils sur l’art de séduire la gent féminine, Rico est pourtant confronté à un sérieux problème : à chaque fois qu’il se retrouve dans l’intimité avec une femme, son corps se refroidit et se durcit comme si on venait de le sortir du congélateur.
Mr Suave dépeint avec humour le comportement machiste des Philippins. D’ailleurs, il n’a pas toujours été évident pour une réalisatrice de 37 ans et de petite taille comme Joyce Bernal de diriger des hommes, surtout au début de sa carrière entamée en 1998. Mais le succès de Mr Suave ne parvient néanmoins pas à faire oublier l’une des crises les plus graves que traverse l’industrie cinématographique du pays.
La déprime de l’industrie cinématographique
Une cinquantaine de films seulement y ont été produits en 2004 contre une moyenne annuelle de près de 200 dans les années 1980 jusqu’à la première moitié des années 1990. « Nous sommes presque morts », confie Joyce Bernal. Ce déclin s’explique en partie par la persistance de la crise économique. Il n’y a pas assez d’argent pour produire. De plus, la fréquentation des salles obscures a chuté, elle aussi. Les spectateurs n’ont plus les moyens de s’y rendre, même si en période de marasme économique certains seraient plutôt tentés d’aller au cinéma pour oublier leur quotidien difficile.
Les superproductions « made in Hollywood » enfoncent davantage dans la déprime l’industrie cinématographique des Philippines qui, ne recevant que très peu d’aide de la part du gouvernement, ne peut pas concurrencer les majors américaines. 70 % des films projetés dans l’Archipel viennent des États-Unis. Le piratage et l’internet assombrissent encore plus le tableau. Beaucoup de spectateurs ne veulent plus payer pour voir des films qu’ils pourront obtenir sur DVD pirates. Et avec l’internet, les gens passent plus de temps devant leur ordinateur (parfois pour télécharger illégalement des films) que dans des salles.
En outre, « la télévision tue la magie du cinéma », estime un autre cinéaste philippin. « La crise a poussé les vedettes de cinéma les plus populaires de notre pays à migrer vers le petit écran, devenu la principale source de divertissement. Les spectateurs peuvent désormais voir leurs stars préférées à la maison sans avoir à débourser un sou », explique Chito S. Rono dont le film d’horreur Feng Shui est également présenté au VIIe Far East Film Festival (Feff) d’Udine, la capitale du Frioul.
Comme pour l’édition précédente, le festival a enregistré cette année environ 50 000 entrées ; 67 films (en provenance de Chine, Hong Kong, Taiwan, Japon, Corée du Sud, Thaïlande, Singapour, Indonésie et Malaisie) ont été projetés du matin au soir de façon non-stop durant les huit jours du FEFF qui s’affirme, une fois de plus, comme « la plus grande vitrine occidentale du cinéma populaire asiatique ».par Kèoprasith Souvannavong
Article publié le 31/05/2005 Dernière mise à jour le 30/05/2005 à 22:00 TU