Iran
Présidentielle : deux candidats réformateurs repêchés
(Photo : AFP)
Le Guide suprême de la révolution islamique n’intervient que très rarement dans le débat politique en Iran. La situation devait donc paraître à ses yeux extrêmement sérieuse pour qu’il réagisse avec une telle célérité à l’invalidation dimanche de la candidature de l’ancien ministre de l’Education, Mostafa Moïn, et de celle de l’ancien vice-président aux Sports Mohsen Mehralizadeh. Dès lundi, et dans une lettre au Conseil des gardiens, l’ayatollah Ali Khamenei a en effet pris l’initiative inhabituelle d’exhorter cet organe ultra-conservateur non-élu, chargé notamment de valider les candidatures électorales, de revenir sur sa décision d’éliminer ces deux prétendants réformateurs à la succession de Mohammad Khatami. Il a ainsi jugé qu’il serait «préférable pour les Iraniens que toutes les tendances politiques participent à ce scrutin».
Les réactions à l’éviction des deux principales figures du camp réformateur ont été, il est vrai, extrêmement virulentes. «La disqualification illégale des candidats transforme ce scrutin en une élection qui n’est ni libre, ni équitable, ni ouverte. C’est une imposture», s’était indigné le Front de participation islamique iranien, la formation de M. Moïn. «Il s’agit d’un coup d’Etat et le gouvernement qui sera mis en place sera le fruit d’un coup d’Etat. Le président ne sera pas le président d’une république, ce sera un président désigné», avait ajouté ce principal mouvement réformateur en appelant au boycott de la présidentielle du 17 juin prochain. La prix Nobel de la paix, Shirin Ebadi, avait pour sa part estimé que la disqualification des deux candidats réformateurs n’avait «aucun fondement légal» tandis que l’Organisation des moujahidine de la révolution, un autre parti réformateur plus radical, soulignait que «la non-participation à ce scrutin était la moindre des mesures à prendre».
A Téhéran, plus de 300 étudiants –à la pointe du mouvement réformateur– ont manifesté dans la nuit contre l’éviction de MM. Moïn et Mehralizadeh. Même le ministère de l’Intérieur avait fait part de sa «profonde inquiétude». «Nous sommes tenus par la loi d’organiser l’élection selon le calendrier prévu», avait déclaré un porte-parole de cette administration tenue par les réformateurs tout en appelant le Conseil des gardiens à revoir sa décision et à éviter que ce scrutin «ne soit marqué par l’indifférence, la méfiance et la désunion».
Eviter la crise de 2004A l’étranger, les critiques se sont également multipliées. Les Etats-Unis ont ainsi dénoncé l’invalidation de plus d’un millier de dossiers de candidature –sur 1014 personnes qui se sont présentées, seules six ont en effet été retenues–, assurant qu’ils se tenaient «aux côtés du peuple d’Iran» dans son aspiration à la démocratie. «Nous sommes profondément troublés par la décision du Conseil des gardiens du régime, non élu d’invalider ces candidatures. Ces disqualifications sont clairement destinées à s’assurer que seuls ceux qui sont totalement acceptable pour la ligne dure du régime puissent se présenter devant les électeurs», a déclaré le porte-parole du département d’Etat Richard Boucher. L’Union européenne a également exprimé sa profonde déception. Le chef de la diplomatie luxembourgeoise, Jean Asselborn, dont le pays assure la présidence tournante de l’UE s’est déclarée «très déçue» par le rejet de toutes ces candidatures.
Face à toutes ces pressions et surtout à la menace d’un boycott de l’élection, le régime islamiste s’est résigné à remettre en scelle les deux principaux candidats réformateurs. Les six religieux et les six juristes du Conseil des gardiens –nommés directement par le guide suprême– ont agi avec un célérité rare, convoquant une session extraordinaire et reconnaissant dans la foulée «la compétence de MM. Moïn et Mehralizadeh». Le clan conservateur, qui a fait d’une forte participation l’enjeu majeur de sa légitimité, pouvait difficilement laisser se reproduire le scénario des législatives de 2004. Plus de 2 000 candidatures, pour la plupart de personnalités réformatrices, avaient été rejeté par le Conseil des gardiens qui avait été insensible à la demande du Guide suprême de la révolution de revoir ses décisions.
L’Iran avait alors connu l’une de ses plus graves crises politiques. Les principaux partis réformateurs et les étudiants avaient décidé de boycotter le scrutin et le régime avait accusé son plus fort taux d’abstention dans une consultation électorale majeure avec 50,57% de participation.
La remise en scelle des candidats réformateurs pourraient remettre en cause l’hégémonie des conservateurs sur la vie publique iranienne. Ces derniers, qui contrôlent toutes les institutions non-élues, ont déjà fait main basse sur la justice, les forces de sécurité, l’Assemblée et la radio-télévision d’Etat. Seule la présidence de la République leur échappe encore pour le moment. Cela dit une victoire du candidat conservateur Hachemi Rafsandjani, à la personnalité complexe –pragmatique, il est favorable à une normalisation avec l’Occident et à la libéralisation de l’économie iranienne–, ne signifie pas la mise en coupe du pays par les durs du régime. «J’ai toujours été contre les extrémistes et je n’approuve pas leurs méthodes», avait-il récemment déclaré aux journalistes venus assister au dépôt de sa candidature au ministère de l’Intérieur.
par Mounia Daoudi
Article publié le 24/05/2005 Dernière mise à jour le 24/05/2005 à 18:42 TU