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Constitution européenne

Les Français se passionnent pour le débat

Avec le référendum sur la Constitution européenne, les Français ont montré un regain d’intérêt pour la politique.(Photo : AFP)
Avec le référendum sur la Constitution européenne, les Français ont montré un regain d’intérêt pour la politique.
(Photo : AFP)
Il y a ceux qui vont voter «oui», et ceux qui vont voter «non». Les derniers sondages montrent que le «non» a toutes les chances de l’emporter dimanche, la France pourrait rejeter la nouvelle Constitution européenne. En dehors des conséquences sur la politique intérieure et de l’effet sur l’Europe, l’adoption ou non du nouveau traité a redonné le goût de la politique aux Français.

41,8 millions d’électeurs sont appelés à se prononcer dimanche par référendum sur l’adoption par la France de la nouvelle Constitution européenne. 64 700 bureaux de vote seront ouverts de 8 heures du matin à 20 heures. Pour la première fois à l’occasion d’un référendum, il est possible de voter jusqu’à 22 heures, à Paris et à Lyon, deux villes qui en ont fait la demande. Une disposition que les citadins vont certainement apprécier alors qu’une météo favorable risque de les éloigner de leur bureau de vote.

La question qui est posée aux électeurs est la suivante : «Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe ?». Aucun résultat définitif, aucune estimation partielle ne pouvant être annoncé avant la fermeture de tous les bureaux de vote, le rituel d’annonce des résultats par les télévisions sera déplacé à 22 heures.

Ressusciter la politique

Les partisans du «oui» comptent sur les indécis pour faire pencher la balance dans leur camp mais les sondages continuent de donner de l’avance au «non», donc au rejet par la France de la nouvelle Constitution européenne.

Les Français ont eu du mal à se faire une opinion sur ce nouveau traité, au contenu juridique jugé rébarbatif. Ils ont donc ressuscité la politique, jugée jusque là monotone et ennuyeuse. A la sortie de l’usine, dans les cafés, dans les repas de famille, au bureau, chez les commerçants, au marché, dans les maisons de retraite, au lycée, dans les universités, tout le monde y est allé de son couplet pour ou contre le nouveau traité européen qui doit donner plus de pouvoir à l’Union européenne tout en dépoussiérant les textes existants.

Olivier, 25 ans, à la sortie de son usine en grève, en grande banlieue parisienne, usine dont la production pourrait être délocalisée dans d’autres pays de l’Union européenne : «moi je suis allé sur Internet pour trouver des arguments objectifs qui éclaireraient mon choix. Tout ce que j’ai trouvé, je l’ai transmis par e-mail à mes collègues afin de les aider. La Constitution européenne c’est important. Le couple franco-allemand est solide et il ne faut pas l’affaiblir». Olivier a l’intention de voter «oui».

«La France, qui est en avance, va reculer»

Béatrice, 45 ans a également essayé de se lancer dans la lecture du traité : «j’ai rapidement abandonné, on n’y comprend rien». Un matin, une collègue est arrivée au bureau avec la Constitution. «On s’est mis ensemble pour essayer de décrypter ce charabia sur un coin de table. On était plusieurs hommes et femmes, cela ne nous a pas plus avancés».

«Si je perds mon boulot qu’est ce que je deviens ?», interroge un homme qui travaille dans son entreprise depuis 35 ans. «J’ai un fils de 21 ans sans emploi. Il est toujours à la maison. Alors l’Europe, moi, qu’est-ce que j’en ai à f… ?».

Pour Mehdi, marchand de fruits et légumes à Lyon, dimanche pas d’hésitation, ce sera «non». Pour lui, Europe rime avec catastrophe. «Depuis que l’euro est arrivé, c’est simple, les gens n’ont plus d’argent, les affaires ne marchent plus. La France a tout à perdre avec ce traité, ça ne peut pas marcher car les pays ont des niveaux de vie trop différents, et la France, qui est en avance, va reculer».

Sur ce marché, toujours à Lyon, Christian, agriculteur, éleveur et fabriquant de fromage, tenté par le non. Il craint «l’invasion de produits polonais à des prix polonais. J’ai 50 ans. Pour nous, c’est fini, mais après la retraite, personne ne reprendra nos exploitations et c’est les produits étrangers qui vont déferler».

«Et maintenant on nous parle de la Turquie»

Dans la cafétéria d’une université parisienne, on refait l’Europe. «Les opinions sont très tranchées», raconte un jeune homme de vingt ans. «Les gens du oui sont vraiment bloqués. Ils sont pour le libéralisme économique comme leurs parents. Ici, il y a beaucoup d’étudiants des pays de l’Est. Eux sont pour le traité. Ils pensent que ça aidera leur pays mais ils comprennent bien notre crainte de régression sociale».

Mina, 20ans, étudiante en musicologie : «un de mes profs m’a dit qu’il n’avait jamais vu un débat politique aussi fort». Autre étudiant en musicologie, Samuel, 27 ans : «je ne veux pas vivre dans une société précarisée où les gens sont tellement préoccupés par leur survie quotidienne qu’ils auront perdu le goût et le temps d’écouter de la musique».

Dans le Puy-de-Dôme, le pays de Valéry Giscard d’Estaing, - l’ancien président de la République a dirigé les travaux d’élaboration de cette constitution -, on a des avis partagés sur l’Europe. «Ici, c’est comme un village et l’Europe nous paraît bien loin», confie une dame. Et son mari ajoute : «l’Europe s’est ouverte à tous les anciens pays de l’Est. Trop tôt, trop de pays d’un seul coup. Et maintenant on nous parle de la Turquie sans que nous ayons eu le temps de tout digérer».

Dans une maison d’arrêt de Saône-et-Loire, tout le monde a l’intention de voter non. Les gardiens, parce qu’ils se sentent proches de l’extrême droite, le personnel médico-éducatif, «pour mille raisons», la principale étant leur opposition à la politique du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin.

«Une Constitution pas assez libérale»

Dans les entreprises, c’est souvent à la machine à café ou devant les ascenseurs qu’on discute du «oui» et du «non». Jérôme est pour le traité car «quand on voit la gueule du camp du non…». Eric, lui «a fini par être convaincu par Jospin. Il m’a rassuré sur le comment vivre à 25». Bernard, lui, peste contre les «contraintes sociales» que le texte contient. Il votera «non» car la Constitution n’est «pas assez libérale».

Un salarié d’une maison d’édition raconte qu’il doit garder son calme quand son patron assène : «il faut être ignorant pour voter non».

«Je pourrais voter oui, juste parce qu’Emmanuelli représente tout ce que j’exècre. Il me fait penser à mon père», raconte cet infirmier toulousain. Dans les familles, dans les couples, à l’occasion de festivités familiales, le référendum de dimanche a semé la passion et la pagaille en bousculant de vieux clivages. La campagne a remis au goût du jour les discussions politiques.    


par Colette  Thomas

Article publié le 27/05/2005 Dernière mise à jour le 27/05/2005 à 16:08 TU