Liban
L'opposition se déchire aux législatives
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Beyrouth
Les quatre cent mille électeurs de la capitale, divisée en trois circonscriptions, doivent choisir 19 des 128 députés du prochain Parlement: six chrétiens, quatre Arméniens et neuf musulmans (7 sunnites et 2 chiites). Saadeddine Hariri, le fils de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, assassiné le 14 février dans un attentat à l'explosif, est assuré d'une victoire facile à Beyrouth. Les trois listes qu'il préside comptent, entre autres, un candidat du Hezbollah et une représentante de l'opposition chrétienne (Solange Gemayel, l'épouse du président assassiné en 1982, Bachir Gemayel). Bénéficiant d'un fort élan de sympathie populaire après la mort tragique de son père, Saad Hariri ne fait face à aucun adversaire de taille, les représentants des grandes familles politiques traditionnelles ayant préféré ne pas participer au scrutin. D'ailleurs, avant même le début des opérations de vote, neuf candidats ont été élus d'office à Beyrouth faute d'adversaires.
Au Sud du Liban aussi, l'issue de la bataille électorale prévue le 5 juin est pratiquement connue. Les deux grandes formations chiites, le Hezbollah et le mouvement Amal du président de l'Assemblée, Nabih Berry, ont conclu une alliance imbattable. Elles sont presque sûres de remporter la totalité des 23 sièges de cette région divisée en deux circonscriptions adossées à la frontière avec Israël. Six candidats y ont déjà été élus d'office. En revanche, dans plusieurs autres circonscriptions, le tableau électoral n'est pas aussi simple.
Confrontation Aoun-Joumblat
Dans la montagne druzo-chrétienne du Mont-Liban, l'opposition va s'entredéchirer après avoir fait front commun au lendemain de l'assassinat de Rafic Hariri pour obtenir le retrait des troupes syriennes. De féroces batailles s’annoncent entre les alliés d'hier, pour le contrôle des 35 sièges des quatre circonscriptions de cette région. La confrontation opposera la coalition dirigée par le chef druze Walid Joumblatt (regroupant des candidats des Forces libanaises chrétiennes, du courant de Saad Hariri et un représentant du Hezbollah) aux listes formées par l'ancien Premier ministre Michel Aoun, rentré le 7 mai d'un exil forcé de 15 ans en France. Une semaine de négociations ardues entre les deux parties n'a pas réussi à dégager un terrain d'entente. Aoun soupçonne Joumblatt de vouloir l'isoler, alors que le leader druze accuse l'ancien chef du cabinet militaire (1988-1989) de réclamer plus de candidats que son poids ne l'y autorise.
Ironie du sort, Michel Aoun compte s'allier à des personnalités proches de la Syrie, son ennemie de toujours, notamment l'autre chef druze, l'émir Talal Arslan, ainsi que l'ancien ministre de l'Intérieur, le maronite Souleimane Frangié. La principale bataille aura lieu dans la circonscription de Baabda-Aley (11 sièges), qui comprend la banlieue sud de Beyrouth, le fief du Hezbollah. L'issue des élections y est incertaine. Le même flou règne aussi dans deux autres circonscriptions du Mont-Liban, le Metn (à l'est de Beyrouth) et Jbeil-Kesrouan (au Nord). Michel Aoun présentera des listes face aux candidats de Kornet Chehwane, le principal rassemblement de l'opposition chrétienne, créé à l'initiative du Patriarche maronite Nasrallah Sfeir. Au Mont-Liban, 175 candidats se disputent 35 sièges.
Etranges alliances
Dans la plaine de la Békaa, limitrophe de la Syrie, 152 candidats livrent bataille pour 22 sièges à pourvoir. Si, dans la circonscription de Baalbeck-Hermel, le Hezbollah est assuré d’emporter la majorité des 10 sièges en jeu, la perspective reste floue dans la circonscription de Zahlé (6 sièges), où les chrétiens ont un poids électoral important. Dans la Bekaa-Ouest (6 sièges), où les sunnites sont majoritaires, l'alliance Joumblatt-Hariri est en bonne posture pour remporter la victoire.
Les Libanais comprennent mal la signification de ces alliances électorales bizarres, qui ne répondent pas toujours à des critères politiques bien définis. Ainsi à Baabda-Aley, le Hezbollah se trouvera sur la même liste que le candidat des Forces libanaises, alliées d'Israël pendant la guerre civile. En fait, en renforçant sa coopération électorale avec un large éventail de partis politiques, le Hezbollah espère se forger un vaste réseau d'amitiés qui l'aidera à réduire les pressions locales et à mieux résister aux pressions internationales lorsque la question de son désarmement sera sur la table.
Le général Aoun, lui, a d'autres calculs. Il se considère comme l'opposition «authentique» qui a lutté pendant 15 ans contre la présence syrienne au Liban. Il refuse, par conséquent, que la taille de son futur bloc parlementaire soit fixée par ceux qu'il appelle les «néo-opposants» (Joumblatt et Hariri), partenaires libanais de la Syrie depuis 1990, jusqu’à leur brouille avec Damas, vers le milieu de l'année dernière à cause de la prorogation du mandat d'Emile Lahoud. En refusant toutes les offres qui lui ont été faites pour rejoindre la coalition de l'opposition, Michel Aoun a brouillé toutes les cartes. Le paysage politique qui naîtra des prochaines élections ne ressemblera pas tout a fait à celui que souhaitaient les nouveaux parrains du Liban, la France et les Etats-Unis.
par Paul Khalifeh
Article publié le 28/05/2005 Dernière mise à jour le 28/05/2005 à 11:04 TU