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Liban

Michel Aoun de retour après 15 ans d’exil

Une Libanaise tient le portrait de Michel Aoun de retour à Beyrouth.(Photo: AFP)
Une Libanaise tient le portrait de Michel Aoun de retour à Beyrouth.
(Photo: AFP)
Après 15 années d’exil forcé, le général Michel Aoun rentre au Liban. Il retrouve un pays libre de toute présence armée étrangère mais en proie à une crise politique sans précédent.
De notre correspondant à Beyrouth

«Maintenant que le Liban est libre, je veux à présent libérer les Libanais». C’est en ces termes que le général Michel Aoun résume son action à venir. De quoi donner des frissons à la classe politique, pouvoir et opposition confondus. Entouré d’une aura de héros et porteur dans ses bagages «d’un programme de réformes tous azimuts» du système libanais qu’il a longtemps décrié, l’ancien chef du cabinet militaire rentre samedi dans son pays après 15 années d’exil forcé en France.

Choisi en septembre 1988 par le président Amine Gemayel pour former un gouvernement provisoire une demi-heure avant la fin de son mandat, l’ancien commandant de l’armée, Michel Aoun, est resté au pouvoir jusqu’en octobre 1990. Pendant ces deux ans, il lance une «Guerre de libération» contre les 40 000 soldats syriens présents alors au Liban. Après six mois de combats acharnés, il ne réussit pas à déloger les troupes d’Hafez el-Assad. Il tente ensuite en vain de désarmer la milice chrétienne des Forces libanaises, dirigée par Samir Geagea, aujourd’hui en prison.

Ces affrontements se soldent par un désastre pour les chrétiens: des milliers de morts et de blessés, des dizaines de milliers de personnes qui prennent le chemin de l’exil, des dégâts estimés à des milliards de dollars. Sur le terrain, le réduit chrétien est divisé en deux zones, l’une contrôlée par les Forces libanaises, l’autre par l’armée fidèle au général Aoun. Retranché dans le palais présidentiel, celui-ci refuse d’appliquer l’accord conclu à Taëf (Arabie saoudite) en 1989 entre les députés libanais pour mettre fin à la guerre civile.

Les développements s’accélèrent après l’invasion du Koweit par Saddam Hussein, en août 1990. Pour récompenser la Syrie de son soutien à la coalition internationale, les Etats-Unis donnent le feu vert à Hafez el-Assad pour évincer militairement Michel Aoun. Le 13 octobre, des Sukhoï bombardent le palais de Baabda et l’armée syrienne fonce sur le réduit chrétien. Battu, le général rebelle se réfugie à l’ambassade de France où il passera neuf mois. Il sera ensuite transféré à la villa Gaby à Marseille, puis à la Haute-Maison, près de Paris. Pendant tout son exil, l’ancien Premier ministre n’aura de cesse de dénoncer «l’occupation syrienne» et de mobiliser la diaspora libanaise contre la mainmise de Damas sur le Liban. Ses nombreux partisans restés au pays sont harcelés, réprimés et emprisonnés par le pouvoir pro-syrien. En 2003, il témoigne au Congrès américain dans le cadre du vote du Syria Accountability Act, une loi qui inaugure la nouvelle politique d’isolement de la Syrie, mise en œuvre par l’Administration Bush.  

Un retour embarrassant

Aujourd’hui âgé de 70 ans, le «général», comme l’appellent affectueusement ses partisans, avait laissé, en 1991, un pays divisé, meurtri par 15 ans de guerre civile, et occupé par les armées syrienne et israélienne. Il retrouve un Liban reconstruit, libéré des armées étrangères, mais en proie à une crise politique sans précédent depuis la fin de la guerre.

Michel Aoun assure qu’il n’a fait aucune concession au régime libanais en contre-partie de son retour. Mais certains opposants affirment qu’en l’autorisant à rentrer d’exil avant les élections législatives prévues à partir du 29 mais, le pouvoir espère brouiller les cartes politiques et provoquer des dissensions dans les rangs de l’opposition. Une opposition dont Michel Aoun critique souvent la «mollesse et l’opportunisme». D’ailleurs, le Courant Patriotique Libre (CPL) de l’ancien Premier ministre a toujours gardé ses distances vis-à-vis de Kornet Chehwan, le principal rassemblement de l’opposition chrétienne, chapeauté par le Patriarche maronite Nasrallah Sfeir.

Quoi qu’il en soit, le général Aoun rentre au Liban sans avoir introduit de changements à son discours politique. Il se veut porteur d’un programme de modernisation basé sur la laïcité du système confessionnel libanais et affirme vouloir débarrasser la classe politique et l’administration de la corruption endémique qui y sévit. Il lorgne le poste de président de la République «s’il y a consensus autour de (sa) personne».

Attendu samedi à 17 heures locale, Michel Aoun a été précédé et sera accompagné de plusieurs dizaines de partisans exilés depuis parfois 15 ans, venus des quatre coins du monde. Il sera accueilli à l’aéroport par sa famille et des proches, avant d’aller se recueillir sur la tombe de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, dans le centre-ville de Beyrouth. Place des martyrs, quelques mètres plus loin, il prononcera un discours devant des milliers de sympathisants, dont une majorité de jeunes qui ne l’ont encore jamais vu en chair et en os.

Le retour de Michel Aoun marque la fin de l’ère syrienne au Liban. Ironie du sort: sa protection sera assurée par l’armée libanaise reconstruite par celui qui l’a délogé du palais présidentiel, il y a 15 ans, Emile Lahoud, aujourd’hui chef de l’Etat.

par Paul  Khalifeh

Article publié le 07/05/2005 Dernière mise à jour le 07/05/2005 à 17:38 TU