Liban
Le crépuscule de l’ère syrienne
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Beyrouth
Pour la première fois depuis 30 ans, le Liban est vide de toute armée étrangère. Les derniers soldats syriens ont regagné leur pays lundi, achevant ainsi le retrait décidé le 5 mars par le président Bachar el-Assad sous la pression de la rue libanaise et de la communauté internationale.
Le redoutable chef des services de renseignements syriens, qui faisait la pluie et le beau temps au Liban il y a encore quelques semaines, a été parmi les derniers à s’en aller. Au volant d’une Mercedes noire et à la tête d’un convoi d’une vingtaine de voitures, le général Rostom Ghazalé a été escorté par des véhicules de l’armée libanaise jusqu’à la frontière.
Des scènes de réjouissance
Quelques heures plus tôt, des agents syriens en civil avaient achevé de détruire les archives du quartier général des services de renseignements dans la localité d’Anjar, non loin de la frontière. L’imposante villa, où la composition des gouvernements, des listes électorales et les nominations administratives étaient discutées, voire décidées ces 15 dernières années, a été remise à l’armée libanaise qui y a hissé le drapeau libanais. La troupe en a interdit l’accès aux journalistes avant de s’y déployer en force de peur que des troubles n’éclatent entre habitants arméniens et sunnites qui se disputent depuis longtemps la propriété de nombreux terrains.
La fin du retrait syrien a donné lieu à des scènes de réjouissances dans les localités à majorité chrétienne et sunnite. A Zahlé, chef-lieu de la plaine de la Békaa, des voitures, ornées de drapeaux libanais et klaxons bloqués ont sillonné les quartiers. A Chtaura, des gens sont descendus dans la rue, lançant des fleurs aux militaires libanais qui ont pris la place des Syriens. Des portraits du chef chrétien Samir Geagea, emprisonné depuis 11 ans au ministère de la Défense, côtoyaient ceux de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri (un sunnite), dont l’assassinat, le 14 février, a déclenché un vaste mouvement de protestation populaire qui a contraint la Syrie à retirer ses troupes.
Dans les villages où les chiites sont les plus nombreux, la foule regardait avec indifférence les derniers camions syriens remorquant des pièces d’artillerie se diriger vers la frontière.
L’ONU veut vérifier le retrait
Le général Ghazalé doit revenir ce mardi au Liban pour quelques heures seulement afin de participer à la cérémonie d’adieu officielle qui se déroulera à la base aérienne de Rayyak en présence d’officiers supérieurs des deux armées. Une commission des Nations unies est par ailleurs attendue dans les prochaines heures au Liban pour vérifier le retrait syrien. Les experts de l’ONU passeront d’abord par Damas où le commandement syrien leur remettra les cartes des positions évacuées. Ils seront suivis par d’autres experts Onusiens qui viendront préparer l’arrivée de la commission internationale chargée d’enquêter sur l’assassinat de Rafic Hariri, tué dans l’explosion d’une camionnette piégée dans le centre de Beyrouth.
Le départ des troupes syriennes marque la fin de l’influence sans partage exercée par la Syrie sur la vie politique libanaise avec l’accord tacite de l’Occident qui l’a récompensé pour le rôle qu’elle a joué aux côtés de la coalition internationale lors de la guerre du Golfe, en 1991. Cette influence a aujourd’hui reculé au profit d’une plus grande présence des Etats-Unis, de la France et de l’Arabie saoudite, qui ont appuyé la désignation de Najib Mikati au poste de Premier ministre, le 8 avril.
Prochaines élections en mai
Premier résultat concret de la baisse d’influence syrienne, la démission, lundi, du patron de la Sûreté générale libanaise. Longtemps considéré comme la pierre angulaire du dispositif politico-sécuritaire mis en place par la Syrie au Liban, le général Jamil al-Sayyed était dans le collimateur de l’opposition libanaise qui l’accusait, avec les chefs des autres services de sécurité, d’être responsable de l’assassinat de Hariri. Al-Sayyed a justifié sa démission du fait des « changements importants dans la politique » du pays.
Certes, la Syrie a retiré son armée mais elle maintient au Liban de solides amitiés avec des alliés puissants comme le Hezbollah, le mouvement Amal du président de la Chambre, et d’autres formations politiques plus ou moins importantes. Pendant des années, Damas a pu marginaliser ses détracteurs à coups de découpages électoraux taillés sur mesure. Toutefois, les prochaines élections, prévues en principe en mai, pourraient donner naissance à un nouveau paysage politique qui lui sera moins favorable. Tout ce que Damas aura construit pendant 30 pourrait alors été balayé par l’impitoyable verdict des urnes.
par Paul Khalifeh
Article publié le 26/04/2005 Dernière mise à jour le 26/04/2005 à 16:44 TU