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Liban

Purges dans les services de sécurité pro-syriens

La démission du directeur de la Sûreté générale, Jamil Sayyed, considéré comme l'éminence grise du régime, a été acceptée par le gouvernement.(Photo : AFP)
La démission du directeur de la Sûreté générale, Jamil Sayyed, considéré comme l'éminence grise du régime, a été acceptée par le gouvernement.
(Photo : AFP)
La révocation du procureur général et le limogeage des chefs de plusieurs services de sécurité marquent le début de la fin du système pro-syrien au Liban. Mais il reste du chemin à faire avant que l'influence syrienne ne s’efface définitivement.

De notre correspondant à Beyrouth

Le dispositif politico-sécuritaire mis en place par les Syriens au Liban leur a permis d’exercer une influence sans partage au pays du Cèdre ces quinze dernières années. Il commence à se fissurer. Son démantèlement constitue une des principales revendications de l'opposition et le nouveau gouvernement libanais n'a pas attendu longtemps avant de s'y atteler. Deux jours à peine après la fin du retrait complet des troupes syriennes, le Conseil des ministres a pris une série de décisions qui changeront radicalement la structure et les orientations des services de sécurité et de la magistrature.

Le procureur général de la République Adnane Addoum, que l'on croyait inamovible il y a quelques semaines encore, a été remplacé par le juge Said Mirza, un proche de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, tué dans un attentat à l'explosif le 14 février. Considéré par l'opposition comme le «gardien du système», Addoum avait été nommé en 1995 à la tête du parquet avec l'appui de l'ancien chef des services de renseignements syriens au Liban, le redoutable général Ghazi Kanaan, qui occupe aujourd'hui en Syrie le poste de ministre de l'Intérieur.

Limogeage du chef des Forces de sécurité intérieure

L'opposition accuse Addoum d'avoir couvert juridiquement les exactions commises par les Syriens et les services de renseignements libanais ces dernières années : rafles dans l'opposition, emprisonnement de détracteurs du régime, fermeture de la MTV (une télévision proche de l'opposition), étouffement de scandales financiers dans lesquels étaient impliqués de hauts responsables libanais et syriens…Le gouvernement a également décidé du limogeage du chef des Forces de sécurité intérieure (FSI-gendarmerie), le général Ali el-Haje, et son remplacement par le général Achraf Rifi, un proche du Premier ministre Najib Mikati, originaire comme lui de la ville de Tripoli, au Nord du Liban.

Ali el-Haje avait été choisi en décembre pour remplacer à la tête des FSI un officier nommé par Rafic Hariri. C'est le chef des services de renseignements syriens au Liban, le général Rostom Ghazalé - définitivement rentré dans son pays la semaine dernière - qui l'a imposé. Les deux hommes étaient des amis. L'opposition accuse le général el-Haje d'avoir ordonné le transfert des carcasses des véhicules du convoi de Rafic Hariri à l’écart des lieux de l'attentat, pour essayer d’éliminer des indices et brouiller les pistes. Le Conseil des ministres a d'autre part écarté le chef des services de renseignements militaires et l'a remplacé par le général Georges Khoury qui assurait l'intérim depuis la fin du mois de mars. Ce dernier est connu pour entretenir de très bons rapports avec le patriarche maronite Nasrallah Sfeir, considéré comme le mentor de la composante chrétienne de l'opposition. Le chef de la Sûreté de l'Etat, le général Edouard Mansour, dont l'opposition réclamait également la tête, a été mis à la disposition du Conseil des ministres mais son successeur n'a pas été encore choisi.

L'éminence grise du régime saute

La décision la plus importante du gouvernement a été d'accepter la démission du directeur de la Sûreté générale Jamil Sayyed, considéré comme l'éminence grise du régime. Le général Sayyed a démissionné après la désignation au poste de ministre de l'Intérieur de Hassan Sabeh, un proche de Rafic Hariri qui avait par ailleurs servi sous ses ordres à la Sûreté générale, en 1999. Depuis l'élection d'Emile Lahoud en 1998, Jamil Sayyed, un ancien officier des renseignements militaires très proche des Syriens, jouait un rôle central dans la vie politique libanaise. Il avait son mot à dire dans la formation des gouvernements, dans la politique étrangère et dans les nominations administratives et diplomatiques.

Seul le chef de la Garde républicaine, le général Moustapha Hamdane, conserve son poste bien que l'opposition réclame sa révocation. Ce fidèle lieutenant du président Lahoud dirige cette puissante brigade de l'armée libanaise chargée de la protection du chef de l'Etat. Il est accusé, ainsi que les chefs des autres services de sécurité, de négligence voire de complicité dans l'assassinat de Rafic Hariri. Le démantèlement de cette hiérarchie sécuritaire, qui pesait lourdement sur la vie politique libanaise, était souhaité par la commission d'information des Nations unies dépêchée par Kofi Annan au Liban en mars dernier. La purge opérée par le gouvernement intervient quelques jours avant l'arrivée à Beyrouth des membres de la commission internationale qui va enquêter sur l'assassinat de Hariri.

Certes, ce coup de balai affaiblit sérieusement l'emprise directe des Syriens sur les moindres détails de la vie politique libanaise. Mais l'influence de Damas n'a pas complètement disparu. Elle s'exerce toujours à travers des hommes ou des partis politiques. Le président Emile Lahoud est un allié de la Syrie, de même que le chef de l'armée le général Michel Sleiman, qui avait été désigné avec l'appui de Ghazi Kanaan. Le Premier ministre, Najib Mikati, est un ami personnel du président Bachar el-Assad. D'ailleurs, sa première visite officielle à l'étranger, il l'effectuera à Damas, la semaine prochaine. De puissantes formations politiques libanaises comme le Hezbollah ou le mouvement Amal, s'identifient elles-mêmes comme étant des amies de la Syrie. De plus, le Front populaire de libération de la Palestine-Commandement général (FPLP-CG d'Ahmed Jibril), étroitement lié aux autorités syriennes, possède des bases militaires dans la plaine de la Békaa et dans plusieurs autres régions libanaises. Enfin, il resterait un grand nombre d'agents syriens en civil dans certains quartiers de Beyrouth et d'autres grandes villes.

Dans son rapport présenté au Conseil de sécurité sur l'application de la résolution 1559, Kofi Annan mentionnent ces informations. La situation a effectivement changé au Liban. Mais elle n'a pas encore basculé.


par Paul  Khalifeh

Article publié le 30/04/2005 Dernière mise à jour le 30/04/2005 à 12:33 TU