Liban
Les chrétiens menacent de boycotter les élections
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Beyrouth
A deux semaines des premières élections législatives organisées sans présence armée étrangère depuis 30 ans, les cartes sont mélangées au Liban.
D’importantes fissures commencent à apparaître au sein de l’opposition, avec en toile de fond une loi électorale controversée fermement rejetée par le patriarche maronite Nasrallah Sfeir, considéré comme le mentor des opposants chrétiens. Une loi qui découpe le Liban en 14 circonscriptions élargies, dont 9 dominées par une majorité d’électeurs musulmans.
Moins d’un mois après la fin du retrait des troupes syriennes, le discours de certaines composantes de l’opposition, national et unioniste à l’origine, prend une tournure de plus en plus confessionnelle. Des expressions comme «marginalisation», «désenchantement» ou «frustration» des chrétiens, réapparaissent dans le discours de personnalités de premier plan ou sous forme de graffitis couvrant les murs de certains quartiers.
Lors d’une réunion extraordinaire mercredi sous la présidence de Nasrallah Sfeir, les évêques maronites sont allés plus loin encore, en affirmant que cette loi électorale «constitue une grave atteinte à la convivialité entre chrétiens et musulmans», car elle permet aux chrétiens de choisir seulement 15 de leur 64 députés (le Parlement compte 128 membres), les autres étant élus par une majorité d’électeurs musulmans. Les évêques terminent leur virulent communiqué par l’expression «à bon entendeur!». Une mis en garde on ne peut plus claire. Poursuivant son escalade verbale, le patriarche Sfeir a déclaré jeudi que l’accord de «Taëf (qui a mis fin à la guerre civile en 1989) donne aux chrétiens 64 sièges à la Chambre, et nous voulons élire ces 64 députés».
Faisant allusion à un éventuel boycott du scrutin par les chrétiens, il a prévenu que «les élections ne seront pas organisées n’importe comment». L’ancien chef du cabinet militaire, le général Michel Aoun, rentré de 15 ans d’exil le 7 mai, a été plus explicite. «Toutes les options sont ouvertes, y compris le boycott des élections», a-t-il dit.
La «trahison» de certains opposants
D’autres personnalités chrétiennes comme l’ancien ministre des Affaires étrangères Farès Boueiz, ou le député Boutros Harb ont, pour la première fois, proposé le report des élections afin de «permettre l’élaboration d’une nouvelle loi plus juste et équitable», alors que la tenue du scrutin dans les délais constitutionnels est fermement recommandée par la France et les États-Unis. C’est ce qu’a d’ailleurs fait observer le président de la Chambre Nabih Berri, fervent partisan de la loi controversée, car elle lui permet de revenir au Parlement à la tête d’un grand bloc de députés et, par conséquent, augmente ses chances d’être réélu chef du Législatif.
L’adoption de cette loi, dont la paternité revient à l’ancien chef des renseignements syriens au Liban le général Ghazi Kanaan (aujourd’hui ministre syrien de l’Intérieur), est le fruit d’une entente entre Nabih Berri, le Hezbollah et des composantes essentielles de l’opposition: le chef druze Walid Joumblatt, le bloc de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et certaines figures de l’opposition chrétienne qui auraient agi contre la volonté de Sfeir. Les rumeurs courent à Beyrouth sur la «trahison» de ces députés chrétiens qui «ont fait primer leurs intérêts personnels sur ceux de leur communauté». Ceux-ci préfèrent les circonscriptions élargies pour bénéficier des voix des électeurs musulmans, car dans les circonscriptions plus réduites, ils risquent d’être battus.
Ces divergences sur la loi électorale menacent de faire éclater le front de l’opposition. Pour tenter de recoller les morceaux, des assises élargies ont été organisées jeudi. Après cinq heures de débats, l’opposition a décidé de former un comité composé de ses leaders chrétiens et musulmans pour établir des listes communes «afin de pallier les défaillances de la loi électorale». Mais ni la date, ni le lieu de la réunion du comité ont été fixés. La situation est tellement grave que malgré le peu de temps qui reste, Saadeddine Hariri, fils et héritier politique de l'ancien Premier ministre assassiné, Rafic Hariri, a annoncé pour la deuxième fois en 48 heures, le report de l'annonce des candidatures de son courant à Beyrouth «afin de faciliter les consultations» au sein de l'opposition.
En attendant que ces «consultations» aboutissent, la tension confessionnelle s’accroît. Des milliers de chrétiens se sont rendus au siège du patriarcat maronite pour exprimer leur soutien à Nasrallah Sfeir et dénoncer leur «marginalisation». Le mouvement du général Aoun prévoit quant à lui d’organiser une manifestation samedi dans le centre de Beyrouth pour les mêmes raisons. Lentement mais sûrement, le conflit est en train de se transposer dans la rue.par Paul Khalifeh
Article publié le 13/05/2005 Dernière mise à jour le 13/05/2005 à 11:32 TU