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Serbie

L’onde de choc du massacre de Srebrenica

Les massacres de Srebrenica, qui firent plus de 7 500 victimes - pour l'essentiel de jeunes musulmans bosniaques abattus, puis jetés dans des fosses communes - sont considérés comme les plus meurtriers commis en Europe depuis 1945.(Photo: AFP)
Les massacres de Srebrenica, qui firent plus de 7 500 victimes - pour l'essentiel de jeunes musulmans bosniaques abattus, puis jetés dans des fosses communes - sont considérés comme les plus meurtriers commis en Europe depuis 1945.
(Photo: AFP)
La diffusion du terrible enregistrement vidéo sur les massacres de Srebrenica commis il y a tout juste dix ans a déclenché une vague de fond en Serbie. Pour la première fois, que l’opinion publique et la classe politique prennent enfin la mesure du crime commis en Bosnie. Le Parlement de Belgrade pourrait adopter une Déclaration sur Srebrenica.

De notre correspondant à Belgrade

Dès mercredi soir, la terrible cassette qui a fait le tour du monde était diffusée par la télévision publique serbe. Ce document montre l’exécution de sang-froid de six jeunes Bosniaques de l’enclave de Srebrenica par des hommes appartenant à l’unité des Scorpions, une formation rattachée à la police de Serbie. 

Depuis dix ans, une large part de l’opinion publique serbe refusait d’accepter la réalité du massacre de Srebrenica, en juillet 1995, qui s’est au total soldé par la mort d’environ 7 000 Bosniaques, et les responsabilités de la Serbie, malgré les efforts pédagogiques déployés par quelques organisations de défense des droits de la personne, ainsi que par quelques médias indépendants.

Les gouvernements successifs de Belgrade, même depuis la chute du régime de Slobodan Milosevic cherchaient à minimiser la part de responsabilité de l’État de Serbie, en mettant en avant le seul rôle des Serbes bosniaques. Il y a quelques mois, les autorités de la Republika Srpska, l’entité serbe de Bosnie-Herzégovine, ont d’ailleurs reconnu la réalité du génocide commis à Srebrenica.

La cassette vidéo a balayé tous les doutes et toutes les dénégations qui prévalaient en Serbie. Dans les heures qui ont suivi la diffusion du document, dix anciens membres des Scorpions ont été arrêtés par la police serbe et devraient être jugés par le Tribunal spécial serbe pour les crimes de guerre.

Les responsables politiques ont explicitement reconnu la réalité des massacres. Un rôle particulier revient sûrement à Rasim Ljajic, ministre des Minorités et des droits de la personne et président du Comité officiel de Serbie de coopération avec le Tribunal de La Haye, qui a immédiatement exigé que le gouvernement auquel il appartient prenne ses responsabilités. En effet, le gouvernement connaissait cette cassette depuis dix jours, mais il a attendu qu’elle soit publiquement diffusée pour régir enfin.

Le Premier ministre de Serbie, Vojislav Kostunica, pourtant très hostile envers la justice internationale, a lui-même dénoncé un «crime brutal et honteux», des termes qu’il n’avait encore jamais utilisé pour parler de Srebrenica. Il a également justifié l’arrestation des anciens membres des Scorpions, que l’on voit agir à visage découvert sur la cassette. Le président de la République Boris Tadic a déclaré qu’il était prêt à venir s’incliner devant les victimes innocentes de Srebrenica.

Deux députés démocrates d’opposition, Natasa Micic et Zarko Korac, ont demandé que le Parlement de Serbie se réunisse en session exceptionnelle et adopte une Résolution sur Srebrenica, avant les commémorations solennelles du massacre, qui doivent avoir lieu au mois de juillet. Le président du Parlement, Predrag Markovic, a cependant expliqué dimanche que cette demande avait peu de chance d’aboutir pour des raisons de procédure, mais qu’il allait engager des consultations avec les chefs des groupes parlementaires dans la semaine.

Le rôle trouble d’un prêtre orthodoxe

Une image a particulièrement choqué l’opinion publique serbe, celle d’un prêtre orthodoxe bénissant les combattants avant qu’ils n’aillent massacrer les jeunes Bosniaques. Le quotidien Danas a retrouvé ce prêtre. Il s’agit du père Gavrilo Maric, higoumène du monastère de Privina Glava, à côté de Sid, en Voïvodine, à une cinquantaine de kilomètres de Belgrade.

Ce prêtre jouit d’une réputation assez sulfureuse, car il est largement connu comme guérisseur, et des foules impressionnantes se pressent dans son monastère, où il exigerait des tarifs exorbitants pour pratiquer exorcismes et guérisons. Le prêtre a refusé de donner la moindre déclaration à la presse, mais sa participation au massacre a permis d’engager un débat sur le rôle joué par l’Église orthodoxe dans les guerres de Bosnie. Le théologien laïc Mirko Djordjevic, l’une des voix les plus critiques de l’orthodoxie serbe, souligne que l’Église n’a pas seulement été «un témoin, mais un complice des crimes commis durant ces guerres».

Même si toute idée de «repentance» officielle de l’Église serbe demeure encore éloignée, celle-ci risque de ne plus pouvoir écarter un débat public sur le rôle qu’elle a joué tout au long des années 1990, et les relations dangereuses qu’elle a entretenu et entretient toujours avec le nationalisme serbe radical.

par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 06/06/2005 Dernière mise à jour le 06/06/2005 à 10:50 TU