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Serbie

Fin de cavale pour le «cerveau» de l'assassinat de Zoran Djindjic

Milorad Lukovic en 1995. On ignore les raisons pour lesquelles Legija a choisi de se rendre. 

		(Photo: AFP)
Milorad Lukovic en 1995. On ignore les raisons pour lesquelles Legija a choisi de se rendre.
(Photo: AFP)
Milorad Lukovic, dit Legija, le «cerveau» présumé de l’assassinat du Premier ministre de Serbie, Zoran Djindjic, s’est constitué prisonnier dimanche soir à Belgrade, en se présentant aux policiers qui montaient le guet en permanence devant sa maison, dans un faubourg de Belgrade, mettant ainsi fin à une cavale de plus d’un an.
De notre correspondant à Belgrade

Milorad Lukovic, 36 ans, qui devait son surnom de Legija à un passage dans la Légion étrangère française, a combattu durant les guerres de Croatie et de Bosnie dans les rangs de la redoutable milice du commandant Arkan. Il a ensuite été intégré dans l’Unité des opérations spéciales (JSO) de la police serbe. Il commanda cette unité, dont les hommes étaient connus sous le nom de Bérets rouges jusqu’en 2001. En octobre 2000, Zoran Djindjic, alors leader de l’opposition démocratique, a négocié avec lui la neutralité des Bérets rouges lors de l’insurrection qui a entraîné la chute du régime de Slobodan Milosevic. Les nouvelles autorités démocratiques le démirent néanmoins de ses fonctions en 2001, après de violents incidents dans une discothèque de Belgrade, lors de l’anniversaire de sa maîtresse, la chanteuse pop Ceca Raznatovic, la veuve du commandant Arkan, lui-même assassiné en janvier 2000. Figure incontournable des milieux interlopes de Belgrade, Legija collaborait aussi bien avec les services spéciaux de l’ancien régime de Slobodan Milosevic qu’avec le crime organisé, puisqu’il était considéré comme l’un des principaux du gang mafieux de Zemun, spécialisé dans le trafic de drogue. La volonté affichée par Zoran Djindjic de s’attaquer au crime organisé semble avoir précipité la fin du Premier ministre, qui a survécu à plusieurs tentatives d’assassinat durant l’hiver 2002-2003, avant d’être finalement tué le 12 mars, sur le parking du siège du gouvernement.

Dans le scénario reconstitué par le ministère de l’Intérieur, Milorad Lukovic faisait figure de cerveau et de principal commanditaire du crime, aux côtés de deux autres chefs du clan de Zemun, Dusan Spasojevic et Mile Lukovic, qui ont été tués par la police au cours d’une opération visant à les capturer. Milorad Lukovic est également accusé du meurtre de l’ancien Président de la République de Serbie Ivan Stambolic, enlevé sur ordre de Milosevic fin août 2000, quelques semaines avant la chute du maître de Belgrade, et d’une tentative d’assassinat contre Vuk Draskovic, qui avait échappé de peu à un attentat dans sa résidence de Budva, au Monténégro, en juin 2000. On ignore encore quelles sont les raisons pour lesquelles Milorad Lukovic a choisi de se rendre, alors que sa longue cavale suppose qu’il disposait toujours de précieuses complicités dans la police et l’appareil d’État.

Pourquoi Lukovic s’est-il rendu ?

Le procès des assassins de Zoran Djindjic, ouvert devant le Tribunal spécial de Belgrade depuis décembre, a connu plusieurs coups de théâtre, mais les questions sans réponse ne cessent de s’accumuler. Alors que le scénario du ministère de l’Intérieur n’évoquait qu’un seul auteur des coups de feu mortels contre le Premier ministre, il semble acquis qu’il y a eu au moins deux tireurs. Il est vrai que la police n’a, étrangement, procédé à aucune reconstitution du crime. Le tireur présumé, Zvezdan Jovanovic, un ancien membre des Bérets rouges, a reconnu sa culpabilité dès le début du procès et oppose depuis un silence total aux questions des juges. Pour l’avocat de la famille de Zoran Djindjic, Me Rajko Danilovic, reste la question de savoir pourquoi Milorad Lukovic s'est-il rendu, avec qui a-t-il négocié sa reddition, et que lui a-t-on promis ? Le ministre de l’Intérieur a cependant démenti dans la journée de lundi tout éventuel marchandage avec Legija.

Les secrets et les complicités coupables qui entourent le meurtre de Zoran Djindjic ne cessent en fait de s’alourdir. Milorad Lukovic connaît les réponses à beaucoup de questions. Peut-être va-t-il choisir de parler, mais l’on peut aussi penser qu’il s’est constitué prisonnier pour essayer d’assurer sa propre sécurité. Il ne manque pas de gens, en effet, dans la police et les services secrets serbes qui pourraient avoir envie de faire définitivement taire Milorad Legija Lukovic. Le criminologue belgradois Dobrivoje Radovanovic estime en tout cas que cette reddition inattendue démontre que les milieux politiques manipulent toujours la police et la justice en Serbie, et il évoque un accord secret entre Legija et le nouveau gouvernement dirigé par Vojislav Kostunica, qui a permis de «recycler» beaucoup de cadres de l’ancien régime de Slobodan Milosevic.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 04/05/2004 Dernière mise à jour le 04/05/2004 à 08:53 TU