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Serbie

Des élections présidentielles sous le signe de la désillusion

Pour la troisième fois en un an, les électeurs serbes sont convoqués dimanche à des élections présidentielles mais, comme l’automne passé, ce scrutin risque fort d’être invalidé, si la participation n’atteint pas le seuil requis de 50% des électeurs inscrits. Des législatives anticipées sont convoquées pour le 28 décembre.
De notre correspondant à Belgrade

Belgrade – Mileva, une vieille dame issue de la bonne société belgradoise, ira voter dimanche, «parce que la Serbie ne peut pas se permettre de vivre en crise politique permanente et qu’il ne faut pas laisser la démocratie se transformer en farce». Elle donnera sa voix à Dragoljub Micunovic, actuel président du Parlement fédéral de Serbie-Monténégro et champion du camp démocratique. Mileva, qui a battu le pavé belgradois durant toutes les manifestations anti-Milosevic, met cependant en garde : «J’ai toujours mon sifflet dans ma poche et je pourrais l’utiliser à nouveau contre ce gouvernement qui a trahi nos espérances».

La désillusion est en effet le maître-mot en Serbie. Les espérances démocratiques qui avaient germé après la chute du tyran, le 5 octobre 2000, se sont enlisées dans un océan de corruption, de luttes d’intérêts et d’incompétence. La plupart des analystes portent un verdict unanime : durant un an, la Serbie a avancé à marche forcée dans la voie des réformes, mais depuis la fin de l’année 2001, le pays fait du surplace.

La majorité démocratique a volé en éclats. Les héritiers de Zoran Djindjic, le Premier ministre assassiné le 12 mars dernier, s’accrochent au pouvoir, mais ils ont été abandonnés par les libéraux du G17 Plus, qui dénoncent la corruption et l’incompétence du gouvernement. Le ministre de l’Intérieur, Dusan Mihajlovic, est devenu leur bête noire : il ne se passe pas de semaine sans que n’éclatent de nouveaux scandales le compromettant.

Après le meurtre de Zoran Djindjic, le gouvernement avait bénéficié d’un bref et tragique état de grâce. Malgré l’interpellation de milliers de suspects, l’enquête sur le crime patine, Milorad Lukovic Legija, le suspect numéro un, court toujours, et le gouvernement a échoué à porter des coups sensibles et durables contre le crime organisé. Si le clan mafieux de Zemun a été décapité, d’autres groupes mafieux n’ont pas tardé à occuper le terrain laissé libre.

Des appels au boycott

Dans les sondages d’opinion, les partis qui soutiennent encore le gouvernement plafonnent à 10% des intentions de vote. Le candidat Micunovic, qui jouit d’une bonne réputation personnelle, devrait obtenir un score plus conséquent, mais les appels au boycott, lancés de manière plus ou moins ouverte par le G17 Plus et le Parti démocratique de Serbie (DSS) de Vojislav Kostunica, devraient dissuader nombre d’électeurs de se rendre aux urnes.

Depuis plusieurs semaines, les députés de ces deux formations n’ont pas hésité à s’allier aux partisans de Slobodan Milosevic et à l’extrême droite nationaliste pour essayer de destituer le gouvernement, qui a multiplié les artifices de procédure pour retarder le vote, avant de se décider jeudi à convoquer des élections parlementaires anticipées pour le 28 octobre. «Même s’il ne parvient pas à être élu, Dragoljub Micunovic aura réussi à ressouder un peu le camp démocrate. Le gouvernement avait intérêt à précipiter les élections législatives pour essayer de surfer sur la vague», analyse un journaliste local.

Dans la rue, les manifestations se multiplient. Après les travailleurs des mines et des grandes entreprises d’État, ce sont les personnels de la santé qui se sont mis en grève : un médecin ne gagne guère plus de 150 euros. L’Union des syndicats indépendants de Serbie (SSSS), qui compte nombre de nostalgiques de l’ancien régime, essaye de canaliser cette protestation populaire en exigeant également le départ du gouvernement, mais personne ne contrôle la grogne sociale qui monte en Serbie.

Davorka, une autre retraitée, n’a pas l’intention de voter dimanche. Les 90 euros de sa pension lui permettent à peine de survivre et, à ses yeux, «le soi-disant gouvernement démocratique ne regroupe que des voleurs. Il n’y a pas de démocratie quand le peuple meurt de faim». Éventuellement, Davorka pourrait être tentée de donner sa voix à Tomislav Nikolic, le candidat du Parti radical serbe (extrême droite nationaliste), dont le chef, Vojislav Seselj, a choisi de se constituer prisonnier devant le TPI de La Haye en février dernier. D’après les derniers sondages, Tomislav Nikolic est crédité de près de 30% des intentions de vote, et le politologue Zoran Stojiljkovic rappelle que les sondages sous-estiment toujours fortement l’extrême droite, qui pourrait bien constituer la mauvaise surprise du scrutin de dimanche.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 15/11/2003