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Serbie

Levée de l’état d’urgence

Sept semaines après le meurtre du Premier ministre Zoran Djindjic, le gouvernement serbe a décidé, mardi matin, de lever l’état d’urgence. Selon le ministre de l’Intérieur, Dusan Mihailovic, l’enquête policière sur ce crime est «bouclée».
De notre correspondant dans les Balkans

L’opération «Sabre», lancée contre le crime organisé, aura permis d’entendre près de 10 000 personnes, tandis que près de 4 000 suspects ont été placés en détention provisoire. Quelque 3 200 accusations ont déjà été formellement notifiées. Dimanche, le ministre de l’Intérieur, Dusan Mihailovic, avait déjà expliqué que «l’enquête était close». Au total, 18 personnes auraient directement été impliquées dans le crime, des membres de l’Unité des opérations spéciales (JSO) de la police serbe, dissoute à la fin du mois de mars, et du clan mafieux de Zemun.

L’auteur du coup de feu mortel, Zvezdan Jovanovic, a été arrêté, tandis que deux des principaux chefs du clan de Zemun, Dusan Spasojevic (dit Shiptar) et Mile Lukovic (dit Kum) ont été tués par la police, alors qu’elle tentait de les arrêter. Seul le cerveau présumé du complot, Milorad Lukovic (dit Legija), est toujours en fuite. Les plus folles rumeurs ont couru, selon lesquelles il pourrait se trouver en Republika Srpska, voire même dans les bastions croates de Bosnie, en compagnie des officiers croates qui fuient le Tribunal de La Haye ! Le gouvernement a, en tout cas, reconnu que sa capture risquait d’être longue et difficile.

Les arrestations ont surtout frappé le clan de Zemun. Ce gang mafieux est resté lié aux anciennes structures de pouvoir du régime de Milosevic et à l’extrême droite nationaliste. Les coups de boutoir de la police ont également permis de démanteler les derniers bastions de partisans de Slobodan Milosevic, notamment dans l’armée, la police et les services secrets.

Même si le scénario du crime semble bien établi, de nombreuses questions demeurent encore sans réponses. Officiellement, l’état d’urgence n’a pas été proclamé pour faciliter l’enquête de la police, mais pour faire face aux risques de coup d’État qui aurait pesé sur le pays. Malgré les affirmations du gouvernement, rien n’est cependant venu confirmer la réalité de ce danger : les comploteurs du 12 mars semblaient bien n’avoir rien prévu après le meurtre. L’armée n’a pas bougé et la dissolution des Bérets rouges n’a entraîné aucun trouble. Les véritables motifs du crime demeurent donc assez largement mystérieux, sauf à envisager la simple hypothèse d’une vengeance. À la veille de la révolution du 5 octobre 2000, Zoran Djindjic avait personnellement négocié avec les Bérets rouges leur neutralité. Avec la menace de nouvelles inculpations par le TPI de La Haye et la volonté du gouvernement de lutter contre le crime organisé, les Bérets rouges et le clan de Zemun se seraient sentis «trahis» par le Premier ministre.

Les toxicomanes sont toujours là

L’opposition réclamait en tout cas de plus en plus vivement la levée de l’état d’urgence, estimant que le gouvernement l’utilisait pour mieux asseoir son pouvoir et mener des purges à caractère politique. Certains conseillers de l’ancien Président fédéral Vojislav Kostunica ont été entendus dans le cadre de l’enquête, tandis que des ténors du gouvernement tonnaient contre les «soi-disant patriotes», incluant dans l’opprobre l’ensemble de l’opposition.

Les purges radicales qui ont affecté l’appareil judiciaire ont également suscité les plus vives critiques des défenseurs des droits de l’homme. L’adjoint au Procureur de la République, Milan Sarajlic, a été démis et emprisonné en raison des relations qu’il entretenait avec le clan de Zemun. La destitution du Procureur lui-même, Sinisa Simic, et celle de la Présidente de la Cour suprême de Serbie, Leposava Karamarkovic, des personnalités connues pour leur indépendance, ont en revanche été analysées comme une volonté gouvernementale de prendre directement en main l’appareil judiciaire. Même si l’état d’urgence appartient désormais au passé, ces réformes à la hussarde de la justice demeureront, tant et si bien que certains juristes, comme Jovica Trkulja, professeur à la Faculté de droit de Belgrade, n’hésitent pas à parler d’une «légalisation de l’arbitraire», même après la levée formelle de l’état d’urgence.

Une autre question ne manque pas de se poser. Si l’on peut penser que le clan de Zemun aura du mal à se remettre des coups qui lui ont été portés, d’autres structures criminelles ne vont-elles pas se développer sur le terrain laissé libre ? «Dommage collatéral» et inattendu de l’état d’urgence, la drogue est devenu presque introuvable à Belgrade, et de nombreux toxicomanes ont été hospitalisés en état de manque. Si l’état d’urgence s’est soldé par l’arrestation de dizaines de trafiquants de drogue, les toxicomanes, eux, sont toujours là.



par A Belgrade, Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 23/04/2003