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Serbie

Les luttes politiques reprennent leurs droits

Samedi, Belgrade était en deuil pour rendre un dernier hommage à Zoran Djindjic, son Premier ministre assassiné, mais dès dimanche, les luttes politiques ont repris le premier plan.
De notre correspondant à Belgrade

Toute la journée de samedi, la capitale serbe a vécu dans le silence et le recueillement. Dès le matin, toutes les artères du centre-ville avaient été bloquées, tandis qu’un impressionnant dispositif de sécurité était mis en place. Après le service religieux célébré sous la direction de Mgr Pavle, le patriarche orthodoxe serbe, le cortège funèbre s’est ébranlé pour une longue procession jusqu’au cimetière de Novo Groblje. Au passage du cercueil, recouvert du drapeau tricolore serbe, beaucoup de gens pleuraient et se signaient.

La foule a été estimée à plusieurs centaines de milliers de personnes. Certains participants brandissaient un portrait, frappé d’une déclaration du Premier ministre, qui avait déclaré le 24 février dernier : «même si vous me tuez, vous ne pourrez pas arrêter le cours des réformes». Jamais une telle foule ne s’était rassemblée à Belgrade depuis l’insurrection populaire qui a chassé Slobodan Milosevic du pouvoir, le 5 octobre 2000. Le ministre de Justice, Vladan Batic, n’a d’ailleurs pas hésité à déclarer que la Serbie vivait un «six octobre».

La continuité avec l’œuvre du Premier ministre assassiné et la poursuite des réformes sont, en effet, les maîtres mots qui dominent à Belgrade. Le Parti démocratique, la formation créée par Zoran Djindjic, a proposé dimanche une succession sans surprise en suggérant que le poste de Premier ministre revienne à Zoran Zivkovic.

«J’ai l’air d’un voyou, mais je suis démocrate»

Zoran Zivkovic s’est imposé comme l’indispensable second de Zoran Djindjic durant les manifestations démocratiques de l’hiver 1996-1997. Au printemps 1999, durant les bombardements de l’OTAN, Zoran Djindjic s’enfuit au Monténégro. Zoran Zivkovic reste en Serbie pour parer à tout risque de sédition au sein du Parti démocratique. Peu après, il devient maire de Nis, la seconde ville du pays, à 200 kilomètres au sud de Belgrade, qu’il transforme en bastion de l’opposition. De son expérience municipale, Zoran Zivkovic a conforté son image d’homme de terrain. Il a aussi acquis l’expérience de la coopération avec la communauté internationale : alors que la Serbie était frappée par l’embargo, la ville de Nis obtint une aide directe de l’Union européenne.

Cet homme de 42 ans, à la carrure imposante, rétorque qu’il est avant tout un homme de terrain à ceux qui lui reprochent de «manquer d’éducation». «Avec mes 100 kilos, on pourrait croire que je suis un voyou, mais je suis un véritable démocrate», affirme-t-il. Après la chute de Milosevic, Zoran Zivkovic était devenu ministre fédéral de l’Intérieur.

Dimanche, il a affirmé son attachement à la coopération avec le Tribunal pénal international et à la poursuite des réformes, tout en justifiant le maintien de l’état d’urgence, malgré les critiques de l’opposition, pour «faciliter la lutte contre le crime organisé».

La marge de manœuvre de Zoran Zivkovic risque pourtant d’être étroite. Principale formation de la majorité réformatrice, le Parti démocratique ne dispose pas de la majorité absolue au sein du Parlement. Dragan Marsicanin, porte-parole du Parti démocratique de Serbie (DSS), la formation de l’ancien président fédéral yougoslave Vojislav Kostunica, grand rival de Zoran Djindjic, a aussitôt dénoncé le choix de Zoran Zivkovic, en réclamant la formation d’un gouvernement de transition regroupant tous les partis représentés au Parlement de Serbie.

Tétanisée par le meurtre de Zoran Djindjic, la classe politique serbe avait su fait taire durant quelques jours ses divisions, mais celles-ci n’ont donc guère tardé à resurgir. L’automne dernier, le pays n’avait pas réussi à choisir son Président de la République, et des élections générales anticipées demeurent une hypothèse probable pour sortir de la crise. Le gouvernement de Zoran Zivkovic sera en tout cas jugé sur un dossier brûlant : celui de sa capacité effective à lutter contre le crime organisé et les groupes paramilitaires liés à l’ancien régime de Milosevic.

La proclamation de l’état d’urgence et les centaines d’arrestations effectuées depuis le meurtre de Zoran Djindjic ne constituent, en effet, qu’une réponse spectaculaire mais provisoire à ce défi. Certains sont même déjà très sceptiques, comme l’avocat Nikola Barovic : il dénonce la «fausse piste» avancée par le gouvernement qui met en cause la mafia dans le meurtre du Premier ministre. «Ce crime est politique, il est l’œuvre des réseaux de l’ombre du régime de Milosevic, d’une sorte d’OAS serbe. C’est par peur que le gouvernement préfère simplement parler des réseaux mafieux».



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 17/03/2003