Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Serbie

Seselj poursuivra son combat à La Haye

L’inculpation de Vojislav Seselj par le Tribunal pénal international de La Haye (TPI), vendredi dernier, était attendue depuis plusieurs semaines. Le chef de l’extrême droite serbe, qui entend se présenter librement devant le Tribunal, a même annoncé avoir réservé pour le 24 février un billet d’avion en aller simple pour la Hollande.
De notre correspondant à Belgrade

Aussi étrange que cela paraisse, Vojislav Seselj n’a pourtant participé directement à aucun conflit, mais les milices de son parti ont été engagées sur les fronts de Croatie et de Bosnie, tandis que lui-même multipliait les propos outranciers. Il s’est notamment rendu célèbre pour avoir appelé à égorger les Croates non pas avec des couteaux, mais avec des petites cuillères rouillées.

Serbe de Sarajevo, Vojislav Seselj est devenu très jeune assistant à la Faculté de droit de sa ville natale. D’abord militant communiste intransigeant, il ne tarde pas à se convertir au nationalisme serbe le plus radical. Il est emprisonné en 1984 en raison de ses professions de foi nationalistes : condamné à huit ans de prison, sa sentence fut ensuite réduite à quatre années, qu’il purgea à la prison de Zenica, en Bosnie. Après sa libération, Vojislav Seselj alla soutenir une thèse de droit à Belgrade, où il proposait entre autres la réhabilitation des crimes de Staline. L’opinion libérale s’était mobilisée, par principe, contre son arrestation, mais Vojislav Seselj resta très marginal sur la scène politique jusqu’en 1989, tout en commençant à se lier avec des rescapés du mouvement nationaliste serbe des tchetniks de la Seconde Guerre mondiale.

Dès 1990, l’ancien assistant de droit commence à se «spécialiser» dans les déclarations assassines et les appels au meurtre à l’encontre des autres nations yougoslaves. Au contraire d’autres leaders nationalistes serbes comme Vuk Draskovic, Vojislav Seselj ne se bat pour la restauration de la monarchie et ne cultive guère l’amitié de l’Eglise orthodoxe. Vojislav Seselj crée une formation paramilitaire, et se pare lui-même du titre de «voïvode», chef traditionnel des unités tchetniks. Dès ce moment, les gros bras de Vojislav Seselj ont bénéficié de l’appui discret de Slobodan Milosevic : ils étaient utiles pour faire taire les opposants démocrates. En février 1991, plusieurs groupes nationalistes fusionnent pour former le Parti radical serbe (SRS).

Dès ses premiers pas, le SRS prend le contre-pied des autres formations de l’opposition serbe, en ne participant pas aux manifestations démocratiques de mars 1991. Dans le même temps, Vojislav Seselj se préoccupait de plus en plus du soutien aux «frères serbes» de Croatie. Dès l’automne 1990, il achemine des armes vers la Krajina, ce qui lui vaut un nouveau et bref séjour en prison, mais par contre les autorités de Belgrade voient d’un fort bon œil l’engagement des volontaires du SRS au printemps 1991. Selon Vojislav Seselj lui-même, le premier détachement de volontaires de son parti serait arrivé à Borovo Selo, près de Vukovar, en avril 1991, et il expliqua par la suite que la coopération avec la police était fructueuse dès cette période, qu’il s’agisse de l’acheminement d’armes ou de volontaires. L’engagement dans les milices devint un critère essentiel de promotion au sein du parti, et les unités paramilitaires du SRS jouèrent un rôle tragique dans les guerres de Croatie et de Bosnie. Les commandos du SRS se livrèrent également à des exactions à l’encontre des minorités nationales de Voïvodine, contraignant au départ certains Hongrois, mais surtout des Croates de la province.

Les nostalgiques de l’ancien régime

En 1992, le SRS s’oppose aux tentatives réformistes du gouvernement de Milan Panic, et le parti choisit de soutenir la candidature de Slobodan Milosevic qui se présente justement contre Milan Panic aux élections présidentielles serbes de décembre 1992. L’alliance inédite entre les Socialistes et les Radicaux permet à ces deniers d’entrer en force au Parlement fédéral ainsi qu’au parlement républicain de Serbie. Le SRS refusa toutefois de participer au gouvernement, en expliquant qu’il se contenterait de soutenir le président Milosevic aussi longtemps que celui-ci défendrait une ligne «patriotique».

En mai 1993, les Serbes de Bosnie rejetèrent par référendum le plan de paix de Cyrus Vance et de Lord Owen, mais toute l’année est occupée par des tractations secrètes entre Belgrade et Pale qui devait amener à un progressif désaveu des Serbes de Bosnie par Belgrade. Le SRS s’oppose à toute perspective de paix négociée, et rompt son alliance avec les Socialistes, en menant aussi campagne en direction des couches les plus déshéritées du pays.

Une longue traversée du désert commence alors pour le SRS, qui peut que dénoncer, impuissant, la signature des accords de Dayton à l’automne 1995. Vojislav Seselj prend désormais la posture du défenseur de l’idée nationaliste serbe, «trahie» par Slobodan Milosevic, parvenant de la sorte à attirer une large fraction de l’électorat, notamment les réfugiés serbes de Croatie et de Bosnie auxquels le droit de vote est très libéralement accordé en Serbie. Au cours de ces mêmes années, Vojislav Seselj développe les contacts de son parti avec l’extrême droite européenne, notamment avec le Mouvement social italien (MSI, aujourd’hui Allianza nazionale, membre de la majorité de Silvio Berlusconi) et le Front national français.

Les événements du Kosovo décidèrent d’un nouveau retour en grâce de Vojislav Seselj. Un gouvernement de grande coalition est formé le 24 mars, réunissant la JUL dirigée par Mira Markovic et le SRS autour de Parti socialiste de Slobodan Milosevic. Vojislav Seselj devient vice-premier ministre de Serbie. Le chef de l’extrême droite occupe surtout un ministère de l’imprécation, multipliant les propos enflammés et les accusations violentes à l’encontre non seulement de l’Occident mais aussi de l’opposition démocratique serbe et des médias indépendants, accusés systématiquement de «trahison».

La chute de Slobodan Milosevic, le 5 octobre 2000, n’entraîne pas celle de la maison Seselj, comme certains observateurs s’y attendaient. Bien au contraire, le leader de l’extrême droite parvient à réunir autour de lui les mécontents des politiques de réforme et les nostalgiques de l’ancien régime. Lors des élections présidentielles de l’automne dernier – invalidées faute d’une participation suffisante – Vojislav Seselj parvient à réunir sur son nom près d’un tiers des suffrages. Il entend en fait se servir de son procès pour poursuivre sa dénonciation véhémente du TPI, qu’il accuse d’être une juridiction antiserbe. Son éventuel départ pour La Haye risque cependant de priver durablement l’extrême droite serbe de dirigeant.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 18/02/2003