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Serbie

Trafic d’armes avec l’Irak

L’entreprise publique yougoslave « Jugoimport » est au cœur d’un trafic d’armes avec l’Irak, et ce ne serait que le haut de l’iceberg, puisqu’il semble difficile que les plus hautes autorités yougoslaves aient ignoré l’existence de cette affaire. D’où un branle-bas de combat dans la classe politique, l’épée de Damoclès de sanctions américaines planant dans le ciel.
De notre correspondante dans les Balkans

Selon le quotidien Blic, les relations Republika Srpska-Belgrade-Bagdad sont sur la sellette depuis une action des forces de l’OTAN en Bosnie (SFOR), le 12 octobre dernier. Lors de cette opération conduite à Bjelina, la SFOR aurait découvert à l’usine «Orao» et à la sucrerie «Obarska» des documents montrant que du matériel militaire était livré à l’Irak via «Jugoimport» et que des experts yougoslaves assuraient une formation militaire et une assistance technique. Il s’agirait, entre autres, d’allonger la durée de vie de moteurs russes RD33 utilisés pour les Mig 29, les seuls avions de combat que possède l’Irak.

La pièce à conviction daterait du 25 septembre dernier, elle serait adressée au ministère de la Défense irakien et signée par l’officier Krsto Grujovic, directeur de la filiale «Jugoimport» à Bagdad. Elle aurait été trouvée dans l’attaché-case du directeur marketing de «Orao» et officier de la Republika Srpska, Goran Santrac. Blic indique notamment que la totalité de la livraison du 30 juin dernier ne pouvait être assurée, une partie attendant dans le port de Bar, au Monténégro, une autorisation de la Syrie. Et un navire soupçonné de transporter des armes vers la Syrie et d’appartenir à «Jugoimport», le «Boka star», vient d’être arraisonné à Rijeka, en Croatie, en provenance de Bar, via Tivat. Selon des sources policières croates, à son bord se trouve du combustible pour missiles Scud.

Deux têtes sont tombées

En réaction à ces révélations, le gouvernement fédéral yougoslave s’est réuni et deux têtes sont tombées : le vice-ministre de la Défense yougoslave Ivan Dokic, responsable de donner les autorisations d’exportation d’armes, ainsi que le directeur général de Jugoimport, Jovan Cekovic. Ce dernier, personnage sulfureux, est à la tête de l’entreprise depuis 1996. Il a été le manitou du commerce d’armes notamment avec l’Irak, la Chine et la Libye du temps de Slobodan Milosevic. Mais il n’a pas quitté son poste suite à la chute de son ancien patron, au contraire, son mandat a été reconduit par le président yougoslave, Vojislav Kostunica, au printemps 2001. Le gouvernement fédéral a aussi fermé le bureau de Jugoimport à Badgad et formé une commission d’enquête. Mais le ministre fédéral de l’Intérieur a été épargné ainsi que le ministre serbe de l’Intérieur, pourtant l’un est membre et l’autre directeur du conseil d’administration de Jugoimport… Le premier ministre fédéral Pesic, garde lui-aussi son poste, se désolidarisant de son parrain Cekovic…

«Les Etats Unis savaient depuis longtemps que Jugoimport commerçait avec l’Irak, ils ont protesté, mais aucune mesure n’a été prise. C’est pour cela que la « trouvaille » de la SFOR tombait bien, ainsi que les « révélations » de la presse. La source, ce sont les renseignements américains. Et le but, une sonnette d’alarme», nous confie une source occidentale. Est-ce que les mesures prises seront nécessaires pour calmer l’ire des Etats-Unis et permettre tout de même à la Yougoslavie d’adhérer au Partenariat pour la paix, sachant que le State Department s’est déclaré «satisfait»? «Nous savons que si l’affaire revient à des accusations mutuelles entre le camp du président Kostunica et celui du premier ministre serbe Djindjic, comme c’est toujours le cas, nous serons considérés comme un pays irresponsable. Il faudra de sérieuses investigations et quelques condamnations à 20 ans de prison pour prouver le contraire», considère Predrag Simic, conseiller pour les relations extérieures du président Kostunica.

D’autant plus que, selon un analyste occidental, les «révélations» sont très en-deçà des vraies inquiétudes américaines. Selon nos informations, l’ambassade américaine à Belgrade aurait fait parvenir, le 17 octobre dernier, un document informel au président yougoslave Kostunica, au Premier ministre du gouvernement fédéral Pesic, au ministère yougoslave des Affaires étrangères et à l’état-major, dans lequel il se plaint d’un transfert de technologie à l’Irak, via la Libye. Il s’agirait d’expertise portant sur des missiles de croisière de moyenne portée, capables de porter des têtes biologiques, chimiques et nucléaires. Jugoimport aurait conclu ces contrats, en association avec d’autres entreprises yougoslaves, plus petites, appartenant au secteur privé.

Le général Grahovac, conseiller du président monténégrin Djukanovic et ancien membre de l’état-major qui a démissionné lorsque Slobodan Milosevic a pris le pouvoir, conclue : «C’est le moment pour la Yougoslavie de choisir son camp, continuer à travailler avec ses anciens alliés, l’Irak, la Chine et la Libye, comme le souhaite la vieille garde qui détient toujours les postes clés dans l’armée et au niveau fédéral, ou se ranger du côté américain».



par Milica  Cubrilo

Article publié le 27/10/2002